Chez Google, la vie privée tombe dans le panel

par Camille Gévaudan
publié le 9 février 2012 à 18h31
(mis à jour le 10 février 2012 à 13h03)

On relayait hier les efforts remarqués de Google en matière d'écologie, qui lui ont valu la première place du classement Greenpeace sur les entreprises high-tech les plus vertes. Mais son heure de gloire n'a pas duré longtemps : le soir-même, Mountain View a ré-endossé son bon vieux costume de Big Brother en lançant un nouveau service de traçage, proposant ni plus ni moins aux internautes de vendre leur vie privée en ligne pour une poignée de bons d'achats.

C'est le site Ars Technica qui a découvert la chose, via un e-mail d'invitation envoyé par Google à quelques élus. «Vous et votre foyer êtes invités à rejoindre le panel Screenwise, une étude menée par Knowledge Network pour le compte de Google» , dit le courrier.

Pour participer, les foyers volontaires doivent accepter de surfer exclusivement avec Chrome, le navigateur de Google, et d'y installer un petit mouchard qui surveillera leur activité en ligne. Cette extension «partagera avec Google les sites que vous visitez et l'usage que vous en faites. Ce que vous apprendrons sur vous nous aidera à améliorer les produits et les services Google» , et bien sûr à «garantir une meilleure expérience en ligne pour tout le monde.» Aucun détail n'est donné sur les informations qui seront récoltées et transmises à Google.

Google promet en revanche que les foyers participants seront rémunérés... en bons d'achats valables sur Amazon.com ! Knowledge Network offre un bon de 5 dollars au moment de l'inscription au panel, puis 5 dollars supplémentaires tous les 3 mois si l'internaute n'a pas quitté pas le programme entre temps, avec un plafond de 25 dollars (18,7 euros) au total.

Google semble avoir désactivé toutes les pages d'explications qui étaient en ligne hier soir. «Nous apprécions et sommes actuellement débordés par vos témoignages d'intérêt , lit-on aujourd'hui sur le site. Revenez plus tard pour plus de détails.» Les 2500 panélistes ont-ils tous été recrutés, ou Google a-t-il déjà fait machine arrière pour peaufiner la présentation de ce Screenwise Panel ? Heureusement, avant qu'il soit trop tard, Ars Technica a fait une capture d'écran qui permet de découvrir une autre facette du programme d'étude, beaucoup plus intrusive :

Les volontaires au mode hardcore de ce programme de pistage doivent installer un petit boîtier noir sur leur réseau Internet domestique. Dans ce cas, ce n'est plus un seul navigateur qui est surveillé, mais toute l'activité en ligne passant par le réseau. Ars Technica explique que «le boîtier agit comme un routeur et un point d'accès wifi qui surveille le trafic de tous appareils connectés» : les différents ordinateurs, mais aussi les tablettes, les smartphones... mais pas les consoles de jeu, par exemple, car elles ne permettent pas de surfer sur le web.

Pour la surveillance au boîtier, la rémunération est de 100 dollars à l'inscription et de 20 dollars supplémentaires par mois d'étude, avec un plafond de 240 dollars (180 euros).

Pour comparaison, les panels français d'étude de marchés en ligne, comme le « NetRatings » de l'institut Nielsen qui alimente (entre autres) les études Médiamétrie sur l'audience des sites Internet, ne reçoivent en compensation que des tickets de participation aux tirages au sort trimestriels . Eux aussi doivent installer un mouchard sur leur ordinateur, mais pas de boîtier physique. Et Nielsen promet que «les informations personnelles collectées ne sont jamais utilisées à des fins commerciales» .

Chez Google, en revanche, les conditions générales de l'étude précisent que les données du panel seront «partagées» avec toutes sortes de parties tierces, et notamment des régies publicitaires. Google promet seulement d'«essayer» d'anonymiser les données avant de les revendre, en rappelant qu'il est impossible d'y parvenir totalement. En effet, de nombreuses pages web au cours de la navigation peuvent contenir des informations personnelles dans leurs adresses URL, pour peu que l'internaute se soit connecté à son compte ou ait rempli un formulaire avec ses coordonnées. Or ces URL sont transmises aux régies publicitaires sans vérification a posteriori.

Les bénéficiaires de ces précieuses bases de données pourront également être des programming networks , ce qui peut comprendre à peu près tous les éditeurs de services intéressés par lesdites informations personnelles. Ars Technica suggère quelques exemples : «On ne peut que spéculer sur les usages lucratifs potentiels de ces données. Mais par exemple, Google pourrait vendre aux chaînes de télé les infos sur la façon dont les internautes utilisent Netflix ou Hulu. Il pourrait dire aux sites d'e-commerce quels sont les articles que les internautes mettent dans leur panier mais abandonnent sans finaliser leur achat. Il pourrait dire à Spotify comment ses auditeurs utilisent les services concurrents comme Grooveshark, et vice-versa.»

Les portes ouvertes sont innombrables, d'autant plus que Google a récemment facilité la fusion des informations qu'il récolte via ses différents services. Il a désormais la possibilité de monter des dossiers ultra-complets sur la vie numérique de ses panélistes. La fusion des services lui permet de rassembler les données issues de YouTube, Google Documents, Google Calendar, Gmail... et le mouchard lui fournit le reste, toute l'activité en ligne qui n'est pas gérée par un service Google.

Ars Technica conclut : «Il est facile d'oublier que Google est l'une des plus grosses entreprises publicitaires au monde, et avec Screenwise, elle pourrait également devenir l'un des plus gros instituts d'étude de marché.»

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