Chine: Google reprend son indépendance à Hong Kong

par Camille Gévaudan
publié le 23 mars 2010 à 16h17
(mis à jour le 23 mars 2010 à 16h19)

«Une nouvelle approche en Chine» , annonce officiellement le blog de Google : sa décision est enfin prise. Il n'y aura pas de départ fracassant du territoire chinois ni de fermeture du moteur de recherche -- comme tout le monde semblait s'y attendre ces dernière semaines, mais une plus subtile modification de son fonctionnement.

Les internautes se rendant sur Google.cn sont désormais redirigés vers Google.com.hk , la version hongkongaise du moteur de recherche, avec un petit message de bienvenue au bon goût de clandestinité : «Welcome to Google search in China's new home» . Selon le principe d' «un pays, deux systèmes» , la région administrative spéciale de Hong Kong n'est pas soumise aux lois socialistes de la République populaire de Chine, et bénéficie de sa propre constitution depuis 1997. Les résultats de recherche n'y sont pas censurés. Et Google.com.hk a été mis à jour pour l'occasion, afin d'interpréter les sinogrammes simplifiés aussi bien que les caractères traditionnels habituellement utilisés à Hong Kong, Macao et Taïwan. À quelques surcharges de bande passante près, le site est maintenant optimisé pour accueillir l'ensemble des internautes chinois.

«Respecter notre promesse de cesser la censure sur Google.cn a été difficile. Nous voulons que nous services soient accessibles à autant d'internautes que possible à travers le monde, y compris en Chine continentale. Mais au cours de nos discussions, le gouvernement chinois a clairement fait comprendre que l'auto-censure requise par la loi n'était pas négociable.» Il a donc fallu sortir le moteur de recherche des territoires concernés par cette loi. Le contournement imaginé est audacieux et pour le moins risqué, car si Google déclare rester dans la légalité la plus parfaite, l'astuce revient à une abolition pure et simple des filtres de censure pour les utilisateurs automatiquement redirigés. «Nous espérons vivement que le gouvernement chinois respectera notre décision , relate le blog, mais nous sommes bien conscients qu'il peut bloquer à tout moment l'accès à nos services.» Une page spéciale a d'ailleurs été mise en ligne pour surveiller l'état de fonctionnement des différents services de Google. À l'heure actuelle, elle indique que la recherche de pages web, d'images et d'actualités est librement accessible, contrairement à Youtube et Blogger. Mais malgré la promesse de «mises à jour quotidiennes» , la page est figée sur la date de dimanche et sa dernière ligne, tout en bas de l'écran, indique que les informations récoltées datent de samedi.

Mais le site hongkongais est accessible sans difficultés, ses interactions avec les internautes de Chine continentale continuent de passer par les filtres du great firewall of China . Et les mots-clés interdits ne franchissent pas la frontière. Inutile d'espérer découvrir une foison de pages subersives en tapant «Falun Gong», «Dalaï-lama» ou «mouvement étudiant de 89» sur Google.com.hk depuis un ordinateur pékinois -- le réseau se contentera de répondre, comme à l'habitude, que «la connexion a été réinitialisée» . Steven Murdoch, chercheur à l'université de Cambridge et membre du projet Tor , un système d'anonymisation des connexions, explique au Guardian que le système de la police chinoise d'Internet «recherche et analyse chaque paquet de données qui passe la frontière virtuelle dans un sens ou dans l'autre, scannant les adresses URL et les pages web à la recherches de certains mots. S'il les trouve, il coupe la connexion.» Et l'Internet chinois ressemble toujours autant à un gigantesque Intranet...

Mais le bouleversement fondamental réside dans l'identité du censeur. Ce n'est plus Google qui s'auto-censure, mais le gouvernement chinois qui intervient pour garantir l'imperméabilité du réseau, avec les conséquences que cela implique pour son image. Les filtres deviennent visibles sur les écrans d'ordinateurs, à travers les messages d'erreur que les internautes chinois savent bien reconnaître. Comme l'explique le blogueur et journaliste politique Michael Anti, «les internautes vont remarquer l'existence de la censure. Comme il s'agissait d'auto-censure, auparavant, ils n'en étaient pas conscients. Mais on comprend ce qui se trame quand ça passe par le grand pare-feu.»

La réponse officielle de Pékin ne s'est pas fait attendre. Selon les propos du porte-parole du ministère des Affaires étrangères Qin Gang, rapportés par l'agence Chine Nouvelle, Google fait preuve d'un «comportement déraisonnable» en «violant la promesse écrite» d'auto-censure qui avait conditionné leur entrée en Chine. Ses accusations concernant l'affaire du piratage informatique et sa tentative de politiser un problème commercial ont provoqué «le mécontentement et l'indignation» du gouvernement. Qin Gang précise toutefois que la colère chinoise ne se dirige que vers Google en tant qu'entité individuelle et ne doit pas affecter les relations sino-américaines, «à moins que certains n'en fassent une affaire politique» .

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