Christian Paul : «Il faut inscrire le principe de neutralité dans le droit français»

par Andréa Fradin
publié le 17 août 2010 à 18h17
(mis à jour le 17 août 2010 à 18h25)

Suite à la mise en ligne de l'intégralité du rapport gouvernemental sur la neutralité du net , le député socialiste Christian Paul, vient relancer le débat déjà vif, en soumettant une proposition de loi sur son blog. Souhaitant «inscrire le principe de neutralité du net dans la loi» , le parlementaire appelle «les experts et les internautes» à enrichir son texte, disponible sur le site collaboratif Co-ment . En moins de deux jours, la proposition a déjà suscité de nombreuses réactions: Christian Paul revient pour Ecrans sur son texte et ses intentions.

Pourquoi avoir soumis cette proposition maintenant ?

_ Pour réagir à l’inertie du Gouvernement, d’abord, mais aussi pour permettre aux socialistes d’en débattre à la rentrée parlementaire.

_ Autre point important: ne pas être pris de vitesse. Le risque est de ne pas assez anticiper. Vous savez, en général, la politique court derrière la société, surtout dans le domaine d’Internet. Pour moi, il vaut mieux prévenir plutôt que réparer les dégâts des années après, c’est-à-dire bien trop tard. Il faut s’y prendre maintenant, surtout que la régulation sera longue à mettre en place.

_ Après, on s’était engagé sur le sujet bien avant. La première fois que j’ai parlé de neutralité du net, ça devait être il y a trois ou quatre ans. Mais depuis quelques temps, je sentais bien, comme beaucoup, que le débat montait, et que tôt ou tard, il faudrait faire quelque chose. On sent bien depuis un an que ce qui était un risque assez lointain pour Internet devient de plus en plus palpable. C’est surtout au colloque de l’Arcep que le débat a monté en intensité, j’avais d’ailleurs émis à ce moment-là l’idée d’une proposition de loi.

Sur quels points insistez-vous particulièrement dans votre proposition de loi ?

_ L’idée est simple: inscrire le principe de neutralité dans le droit français, et peut-être ultérieurement dans le droit européen. Il s’agit de protéger les principes clé de l’organisation d’Internet. Ce sont deux idées essentielles: la libre circulation des idées, et la non-discrimination. Ça ne veut pas dire pour autant que je suis en faveur du laissez-faire, mais je souhaite une régulation équilibrée.

J’ai élaboré cette proposition avec une petite équipe avec qui je travaille depuis quelque temps, sur Hadopi notamment. Elle n’est pas forcément achevée, doit être éventuellement complétée, mais a au moins le mérite d’exister.

Cette proposition est mise en ligne sur Co-ment, et ouverte aux commentaires...

_ Avant le débat parlementaire, je voulais que ce soit un véritable débat public, enrichit et nourrit, co-élaboré en quelque sorte.

Et pour moi, il était vraiment nécessaire de soumettre un objet législatif au débat public, et non se contenter de juste planter le décor, ou poser une question vague. Je voulais un débat public et transparent, pas uniquement réservé aux cercles d’experts.

Que pensez-vous du rapport ?

_ Déjà, je trouve ça très bien qu’il soit rendu public, et il aurait gagné à l’être officiellement, mais passons sur l’anecdote.

Après, je le trouve assez tiède et insuffisamment doté de propositions politiques. Il n’atteint pas le point d’équilibre. Or c’était l’épreuve de vérité !

Par ailleurs, le sens politique du rapport est ambigu. On énonce des problèmes, mais sans faire de réelles recommandations offensives.

Il y a un diagnostic, qui n’est pas sans intérêt, mais le rapport manque d’ordonnance !

_ Trois points problématiques sont relevés dans le rapport: le modèle économique, la gestion du trafic et le filtrage. Sur le premier point, on peut le voir notamment aux États-Unis, les opérateurs vont plutôt au contact, même s’ils se rétractent par la suite. Sur la gestion du trafic, les opérateurs doivent énoncer clairement leurs difficultés. Je pense qu’il y a d’autres manières de les organiser que de mettre en place un accès à Internet intermittent. Et enfin sur le filtrage, je trouve que c’est une position archaïque qui généralement ne règle pas grand chose. Je suis contre l’idée de dire qu’Internet est une zone de non-droit, je ne suis pas laxiste et j’estime qu’il faut agir contre les contenus illicites. Mais le filtrage brandi comme une arme absolue pour régler tous les problèmes représente un risque considérable. Il faut définir des cas très précis.

_ C’est pour ça qu’il faut inscrire le principe de neutralité du net dans la loi, pour qu’ensuite il surplombe les autres lois particulières. Mais quelques progrès ont été faits ces derniers mois: la décision du Conseil Constitutionnel sur la loi Hadopi, qui défini l’accès à Internet comme liberté fondamentale, est une bonne chose.

Que pensez-vous de l'intervention de Nathalie Kosciusko-Morizet publiée sur Rue89 il y a quelques jours ?

_ Là encore, on nage dans la langue de bois numérique. Il ne suffit pas de dire «liberté» ! Les actes comptent beaucoup dans ce débat ! En quelque sorte, j’appelle à l’acte. Il faut empêcher qu’Internet soit ballotté au gré des pressions des lobbies ou à cause de la timidité et du manque d’audace du Gouvernement. Ils ont été autrement plus offensifs sur Hadopi ! Et là, leurs discours sont marqués par la tiédeur...

Vous souhaitez appliquer le principe de neutralité aux «box» des usagers, pourquoi ?

_ Dans l’histoire d’Internet, il y a eu plusieurs étapes: avant, on nous proposait la box. Aujourd’hui, on l’impose.

Dans les outils intermédiaires entre terminaux et réseaux, je veux réduire la captivité des internautes. A l’égard du flux du contenu et des équipements. Laisser une diversité de choix entre plusieurs matériels, pour sortir effectivement de cette situation de monopole qui peut avoir des conséquences assez fortes, la box étant un élément fondamental de l’accès à Internet.

Que pensez-vous de l’avis de Benjamin Bayart, qui avance sur Co-Ment qu’un million d’euros d’amende (cf. fin de l'article 2) n’est pas assez contraignant pour les opérateurs ?

_ S’il veut rajouter un zéro, on peut en discuter ! Plus sérieusement, encore une fois, je suis pour l'enrichissement de cette proposition de loi. En l’occurrence, tout dépend ici de comment on conçoit l’infraction... Mais il faut voir qu’on en est encore au stade du défrichage ! On est en train de déminer le terrain. Il faut d’abord bien poser les enjeux de la neutralité du net, afin de démystifier un sujet en apparence complexe, mais qui concerne aussi des questions techniques que l’utilisation quotidienne d’Internet.

Quelles sont les chances de cette proposition de loi ?

_ Tout d’abord, je souhaite faire travailler le groupe socialiste autour de ce texte et obtenir un maximum de commentaires, afin que les experts et les internautes s’emparent du débat. Pas moins de trois commissions sont concernées par celui-ci! La première échéance sera, si le Gouvernement tient ses promesses, la discussion du rapport au Parlement. Il faudra alors débusquer les intentions réelles: voir si ce rapport gouvernemental n’était là que pour amuser la galerie ou s’il contient une réelle volonté de créer un droit d’Internet. Moi je suis pour une loi équilibrée. Je suis également prêt à entendre les impératifs des opérateurs. Mais je refuse de leur donner un chèque en blanc. Je veux créer une digue face aux tentations de dérives.

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