Ciblage publicitaire : Google débrouille les pistes

par Camille Gévaudan
publié le 27 février 2012 à 17h43

Mis sous pression par le gouvernement américain et empêtré dans d'innombrables polémiques qui égratignent son image chaque semaine un peu plus, Google a miraculeusement décidé de lâcher du lest en matière de vie privée. Le géant a enfin accepté de ne plus soumettre au ciblage publicitaire les internautes qui ne le souhaitent pas. Rien de foufou, donc, dans l'absolu : il s'agit simplement de respecter les revendications de ses clients... Et pourtant, la décision semble avoir été extrêmement difficile à prendre.

Tout tourne autour d'une option appelée Do Not Track , soit «ne pas me pister» en français, activable en cochant une case dans les préférences de certains navigateurs. Cocher cette case permet d'indiquer aux sites que l'on visite qu'on ne souhaite pas participer à leur système de ciblage publicitaire.

«À chaque fois qu'on se connecte à un serveur, un nouvel en-tête HTTP [un petit bout de code envoyé par le navigateur, ndlr] dit : "do not track". Le serveur visité en fait ce qu'il veut. Il est juste informé que vous ne souhaitez pas être pisté» , expliquait l'an dernier Tristan Nitot, président de Mozilla Europe, dans le podcast d'Ecrans.fr (vers 13 min 30). La démarche rappelle ces autocollants «Pas de pub, merci !» que l'on colle sur sa boîte aux lettres : les porteurs de tracts ne sont pas obligés d'y obéir, mais ils distribuent leurs papiers (ou ne les distribuent pas) en connaissance de cause. De même, l'option Do not track n'est pas contraignante pour les sites visités : elle «est plus politique qu'autre chose» .

Le principe du Do not track a été suggéré fin 2010 dans un rapport de la Commission fédérale du commerce (FTC) américaine, pour donner aux internautes un meilleur contrôle de leurs informations personnelles en ligne. Car sur Internet, comme le rappelait Tristan Nitot, «on est constamment pisté mais on ne se pas quelles traces on laisse, ni par qui on est pisté.» Firefox fut le premier navigateur à appliquer ces recommandations, en mars 2011. Microsoft a rapidement suivi avec la nouvelle mouture d'Internet Explorer, puis Apple avec Safari, et enfin Opera.

Seul Google a refusé de suivre le mouvement. Il n'a pas intégré Do not track sur son navigateur Google Chrome, alors en pleine explosion grâce à de vastes campagnes publicitaires, ni accepté de se conformer à cette recommandation via DoubleClick, la régie publicitaire dont il est propriétaire. Seules quelques plateformes mineures jouaient donc le jeu Do not track .

Contrairement à ses concurrents, Google trouve en effet un intérêt financier direct à garder ses utilisateurs prisonniers des programmes de tracking publicitaire, puisqu'il fait la quasi-totalité de ses gargantuesques bénéfices grâce à ces annonces ciblées. C'est d'ailleurs pour cela que Google trouve un avantage à fusionner ses différents services en ligne : les données personnelles de ses millions d'utilisateurs pourront bientôt être croisées, recoupées et regroupées pour être vendues plus cher aux annonceurs, en échange de publicités plus «pertinentes» encore.

Mais l'ambiance s'est récemment gâtée pour Google. La fusion de ses services a fait grincer quelques dents, suivie par l'ouverture d'un panel d'internautes acceptant d'être tracés en ligne contre des bons d'achat. Enfin, la semaine dernière, Mountain View a été accusé de contourner sciemment et volontairement les paramètres de confidentialité des navigateurs Safari et Internet Explorer pour tracer ses utilisateurs malgré leur refus. Faute de pouvoir effacer cette bévue, il était temps de revoir au moins la stratégie de communication...

Mercredi, Google a donc accepté de se ranger du bon côté de la force en signant un code de conduite encadrant la publicité en ligne. Il y rejoint de nombreux acteurs de poids comme Microsoft, Yahoo, AOL et des dizaines d'annonceurs. Le programme est dit auto-réglementaire : même s'il répond à un projet de charte lancé par l'administration Obama, il va plus loin que les recommandations politiques et montre sa bonne volonté en prévoyant de lui-même le respect de l'option Do Not Track . Les publicités DoubleClick se conformeront désormais au choix de l'internaute, et Google Chrome proposera lui aussi de cocher la fameuse petite case.

Tout l'univers de la publicité en ligne devrait d'ailleurs gagner en transparence dans les prochaines semaines.

Les signataires de la charte expliquent, dans leur nouveau site d'information YourAdChoices.com , qu'on pourra désormais repérer d'un seul coup d'œil les bannières publicitaires qui respectent la volonté des internautes : elles seront ornées d'un petit bandeau «AdChoices» au logo triangulaire reconnaissable.

«C'est un bon début , a commenté au Wall Street Journal Christopher Calabrese, conseiller de l'Union américaine pour les libertés civiles. Nous aimerions maintenant qu'on puisse ne plus être pisté du tout sur Internet.» Il faudrait pour cela que l'intégralité des régies publicitaires rejoignent le programme AdChoices et surtout que les réseaux sociaux, comme Facebook ou Google+, cessent d'utiliser des moyens détournés comme le bouton «Like» ou «+1» pour grappiller des informations personnelles aux quatre coins de la Toile.

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