Interview

Citizen mobile

Vision. La communication digitale va transformer les citadins en média, prédit le sociologue Bruno Marzloff.
par Yan de Kerorguen
publié le 30 septembre 2008 à 7h15
(mis à jour le 30 septembre 2008 à 7h15)

D’un côté, un pétrole qui monte, un immobilier qui vacille et un pouvoir d’achat qui baisse. De l’autre, une société qui valorise la mobilité des personnes, des biens, des informations. Comment cette circulation tous azimuts va-t-elle changer l’espace urbain ? Le point de vue de Bruno Marzloff, sociologue des mobilités, animateur du groupe Chronos et du programme Villes 2.0 avec la Fondation Internet nouvelle génération (FING).

Comment voyez-vous l’avenir de la mobilité dans la ville ?

Chaque jour, en France, 160 hectares sont gagnés par l’étalement urbain. Or, plus les gens s’éloignent des centres, plus nous exacerbons les mobilités inutiles. Avec un baril qui flambe, les congestions du transport automobile se reportent sur le transport public. Je vois ces crises du pétrole et de l’immobilier comme la chance d’améliorer les taux d’utilisation des ressources d’urbanisme et de transports. Ces derniers vont se repenser radicalement avec des voitures logicielles et socialement utiles : une auto en libre-service, ce sont dix voitures en moins. Vélib’ fait la preuve qu’un cercle vertueux est possible. On va vers une fluidité des connexions entre auto, vélo, métro et boulot. Mais la mobilité dans la société de demain dépasse le transport des personnes et des biens. L’information digitale permettra de faire l’économie de certains déplacements physiques. Avec les téléconférences, Cisco affirme avoir économisé 27 000 voyages cette année. Les mobiles intelligents, dotés du Web et de la géolocalisation, vont amener une infinité de services «à la volée» dans la ville. On vivra alors pleinement l’ère du cinquième écran.

Qu’entendez-vous par «cinquième écran» ?

Nous vivons aujourd'hui avec quatre types d'écrans : le cinéma (public), le poste de télévision (collectif privé), l'ordinateur (personnel) et le téléphone portable (intime). Le cinquième écran est le prolongement du jeu de tous ces écrans dans l'espace public, avec le mobile comme pivot et Internet comme support. Il marque l'avènement de l'informatique urbaine ambiante, dans un contexte où un mobile massifié et intelligent dialogue avec une sous-couche de puces intelligentes qui parsèment l'espace public. On en voit des prémices : pour améliorer la prédictibilité du trafic, la société de transports publics de San Francisco a créé un twitter, un système de mini-informations en ligne accessibles sur des mobiles, qui alerte ses clients sur les embouteillages et leur permet en retour d'alerter l'opérateur. L'information circule au format SMS sur les mobiles des abonnés qui l'exploitent aussi pour échanger entre eux. De cette manière, la ville devient familière, des dialogues s'instaurent entre citadins.

Ce «tout numérique» urbain ne présente-t-il pas une menace ?

L’espace urbain et le citadin deviennent des médias : ils sont récepteurs, émetteurs et relais. Ils produisent des traces, capturent des données. Le cinquième écran est l’instrument de la surveillance. Il génère et exploite des traces, inévitables : sans traces, pas de services. Mais il est aussi celui de la «sousveillance» : un collaboratif surveille le surveillant. Plus les gens utiliseront ce réseau, plus il y aura d’autorégulations. L’historien Michel de Certeau affirmait que l’invention du quotidien procède de l’individu. J’ajouterai qu’elle procède des intelligences qui s’élaborent pour lui et avec lui.

En savoir plus : Michel de Certeau. l'Invention du quotidien, ed.10/18. Les sites www.mobilites.fr, www.villes2.fr et http://trajectoiresfluides.wordpress.com.

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