Comic-Con: Le geek c'est chic

Le 39e Comic-Con a réuni ce week-end à San Diego 125000 fans de comics, de SF et de jeux vidéo, mais aussi des stars, scénaristes et producteurs alléchés par un marché porteur.
par Pierre Langlais
publié le 29 juillet 2008 à 11h45

Rendez-vous annuel des geeks, ces fans de comics, de science-fiction et de jeux vidéo, le Comic-Con, qui s’est déroulé de jeudi à dimanche à San Diego aux Etats-Unis, est devenu un événement médiatique majeur et résolument tendance.

Spiderman jette un œil distrait sur son portable, s'étire, redresse sa cagoule, réajuste son collant. «On crève de chaud là-dessous.» Trois jours qu'il déambule dans les allées du gigantesque Convention Center de San Diego, au sud de la Californie, noyé dans une foule à vous faire regretter le métro des heures de pointe. Sous le costume, Alex, étudiant et geekordinaire, a conduit toute la nuit, depuis le Colorado, pour pouvoir enfiler sans complexe son déguisement. «Sortez dans la rue habillé comme ça, on vous prendra rapidement pour un cinglé , s'amuse-t-il. Ici, plus vous êtes excentrique, plus on vous adresse la parole !» Les dizaines de Batman, de Superman, d'Indiana Jones et autres personnages de Star Trek et de la Guerre des étoiles qui peuplent le Comic-Con ne disent pas le contraire.

Fondée en 1970, par une poignée de dessinateurs californiens, la Convention sur les comics, autrefois confidentielle et austère, s’est bâtie, en près de quarante ans d’existence, une réputation de pa­radis des geeks,de bazar car­navalesque, où jouets et déguisements ne sont plus le privilège des enfants. On y parle superhéros, gadgets, jeux de rôles, mangas et finalement pop culture au sens large du terme, tant le spectre de cet univers de fans s’est progressivement élargi.

«Lors du premier Comic-Con, nous étions 300 , explique Mark Evanier, auteur de comics et membre historique de la convention. Cette année, 300 personnes font la queue chaque heure pour utiliser les toilettes.» Les tickets de cette 39e édition se sont vendus en quelques jours, arrachés par 125000 geeks de tous horizons, essentiellement américains, mais aussi japonais, anglais ou mexicains, prêts à se priver de soleil, quatre jours durant, pour apercevoir leurs idoles, acteurs, dessinateurs et ­concepteurs de jeux vidéo.

Une foule monstre, compacte, se serrant dans d'interminables files d'attente pour une poignée de goodies , posters, badges ou autocollants, aux couleurs de leurs héros ou de leurs séries télé préférés. «Les comics véhiculent des valeurs universelles, qui transcendent les générations et les milieux sociaux , s'enthousiasme Alex. Ce qu'on vient chercher ici, c'est avant tout une atmosphère, une énergie positive.»

Une énergie que les chaînes de télé et les studios hollywoodiens entendent bien exploiter, quitte à détourner à des fins marketing l’esprit bon enfant de la manifestation. Au milieu des centaines de stands de bandes dessinées, des magasins de tee-shirts, de figurines et autres produits dérivés, Fox, NBC, Warner Bros et les autres ont installé les stands les plus bruyants et voyants du ­Convention Center. C’est à celui qui distribuera le plus de cadeaux, qui multipliera les jeux-concours et organisera le plus de séances de dédicaces, quitte à provoquer des émeutes.

Kiefer Sutherland et l'équipe de 24 Heures , les héros de Prison Break , de Dexter et des prochains blockbusters du petit écran, mais aussi Mark Wahlberg, Keanu Reeves, Jennifer Connely et Hugh Jackman, tous héros de films prévus pour l'année prochaine, ont fait le déplacement.

Peu importe si toutes les œuvres présentées sont liées à l'univers geek. «Le Comic-Con permet aux studios et aux chaînes de contourner les médias pour s'adresser directement aux fans , explique David Glanzer, qui ­dirige la communication de l'événement. C'est un formidable laboratoire, qui permet de faire passer une info conçue sur mesure pour les communautés de fans, info qui finira de toute façon dans les oreilles de la presse.»

En effet, bien avant que la planète entière ne «googlise» et ne tchatte à longueur de journée, les geeks s'étaient appropriés le monde de l'informatique. Aujourd'hui, ils dominent la Toile et sont capables, en quelques clics, de propulser une nouvelle série ou un nouveau film au rang de must see de l'année. Ou de le plomber. Heroes et Lost , lancées au Comic-Con en avant-première, doivent beaucoup à ce buzz désormais traqué par les chaînes.

«Les geeks sont les rois du bouche-à-oreille , confirme Lisa Gregorian, responsable marketing chez Warner Bros. Grâce à Facebook, MySpace et les sites communautaires, leurs points de vue sont immédiats et exponentiels.» Fini la caricature du gros à lunettes, souffre-douleur des cours de ­récré. Les geeks sont devenus de puissants prescripteurs. «Ils ont pris le pouvoir , se réjouit Josh Schwartz, créateur de Chuck , une série où un vendeur en informatique se transforme en super-espion. Hier, ils étaient bizarres, peu fréquentables, aujourd'hui, ils sont normaux. Qui sont les hommes les plus puissants et les plus riches du monde ? Bill Gates et Steve Jobs, des geeks en puissance.»

Séries, films, les geeks ont même leurs chaînes de télévision, Nolife ou Sci-Fi en France, G4 aux Etats-Unis. Hier, leur excentricité et leur goût pour la science faisaient rire. Ils sont désormais «potentiellement sexy, car être intelligent et passionné, c'est sexy» , assure Jim Parsons, héros de The Big Band Theory , sitcom sur le quotidien de deux chercheurs en physique, et succès de l'automne dernier sur CBS.

A coups de block­busters , de Superman à Spiderman en passant par Batman , l'épiphénomène est devenu une culture de masse, tout simplement parce que «ceux qui dirigent aujourd'hui les studios et les chaînes de télé ont grandi avec Star Trek et Star Wars » , explique David Glanzer.

«Les geeks sont maintenant grand public , renchérit Jeff Bond, rédacteur en chef du magazine Geek Monthly. Ceux qui visitent le Comic-Con ne sont plus seulement des puristes, des binoclards sans vie sociale, ce sont des familles, des jeunes et des vieux et, surtout, beaucoup plus de femmes.»

Aux côtés des soldats de Star Wars , les Princesse Leia et les Wonderwoman ont eu en effet beaucoup de succès cette année. Une seule règle pour tous les costumés : garder son sabre laser ou sa mitrailleuse en plastique soigneusement rangé. Car même au paradis des geeks, on ne plaisante pas avec la sécurité.

Correspondance à San Diego

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