Contre le piratage, Sarkozy toujours plus loin dans le répressif

par Camille Gévaudan
publié le 17 avril 2012 à 19h09
(mis à jour le 18 avril 2012 à 17h53)

Mardi 17 avril 2012, soit cinq jours avant le premier tour de l'élection présidentielle, le président sortant et candidat UMP Nicolas Sarkozy commence enfin à esquisser une ébauche de programme numérique. Il a, depuis le début de la semaine, répondu non seulement à un questionnaire du Collectif du Numérique sur l'économie et l'innovation en ligne, mais également à Allociné dans une longue interview précisant ses vues sur la politique culturelle et l'avenir d'Hadopi.

Aucune surprise sur le fond de sa position, puisqu'il reste le seul candidat à vouloir conserver, et même renforcer, le dispositif mis en place pendant son quinquennat. Reprenant à son compte l'exercice d'auto-congratulations de la Haute autorité, il se félicite que la France ne représente plus que 4,5% «des échanges illégaux mondiaux» contre 6,2% «au début de l'année 2011» ... avec de grosses approximations. En effet, ces statistiques n'englobent pas la totalité des échanges illégaux mais les seules «mises à disposition illicites d'œuvres sur les réseaux P2P» un sur «un échantillon de 200 à 300 films récents» . Ne sont pris en compte ni les simples téléchargements en p2p, ni le direct download (sur MegaUpload, Rapidshare...), ni le streaming, ni le piratage de musique, de jeux vidéo, de logiciels, de livres...

Mais sans préciser que ses chiffres sont partiels et partiaux, le candidat UMP reconnaît qu'il ne suffit plus de surveiller seulement les réseaux peer-to-peer. Les usages évoluent : les internautes délaissent l'échange de fichiers en pair-à-pair pour fréquenter de plus en plus assidûment les sites de téléchargement direct et de streaming. D'où la nécessité d'amender la loi Hadopi pour en écrire une version «n°3» : «Il faut que la lutte contre le piratage soit dirigée simultanément contre tous les modes opératoires : pair-à-pair, mais également sites illégaux de streaming ou de téléchargement direct.»

Et pour se démarquer du candidat concurrent qui souhaite lui aussi accentuer la lutte contre «les contrefacteurs commerciaux, les sites qui se font de l'argent» , Sarkozy dégaine une stratégie de «lutte tous azimuts» contre les frères de MegaUpload -- tombé au combat en janvier -- qui prospèrent encore dans leurs «paradis numériques» . Il veut donc s'engager «dans une coopération judiciaire et policière internationale pour lutter contre cette forme de criminalité» pour que «le volontarisme du gouvernement des Etats-Unis, manifesté de façon éclatante le 18 janvier dernier à l'encontre de MegaUpload, ne demeure pas isolé» .

«Les fournisseurs d'accès doivent bloquer l'accès à ces sites, les moteurs de recherche doivent les déréférencer, les intermédiaires de paiement (Mastercard, Paypal, Visa) doivent les boycotter, de même que les annonceurs et les régies publicitaires.» Les mesures envisagées, agressives, sont directement inspirées du projet de loi SOPA ( Stop Online Piracy Act ) qui fut largement critiqué fin 2011. Le texte projetait de donner aux ayants droit tout une palette d'outils permettant d'attaquer les sites Internet hébergeant un contenu contrefait -- y compris les sites reposant sur les contributions des internautes comme YouTube ou Facebook. Il est en effet difficile pour un pays de faire fermer un site hébergé à l'étranger, mais on peut le neutraliser en lui coupant ses portes d'entrées (les moteurs de recherche) et ses vivres (la publicité). L'examen du projet de loi SOPA a été repoussé après une large mobilisation en ligne (on se souvient du Blackout Day qui a même vu Wikipédia se mettre en berne) pour dénoncer ce bouclier numérique liberticide.

La mise en place d'un filtrage généralisé du web n'est pas très loin de ces propositions. Nicolas Sarkozy l'avait d'ailleurs évoqué très explicitement dans ses vœux au monde de la Culture en janvier 2010 : «Mieux on pourra "dépolluer" automatiquement les réseaux et les serveurs de toutes les sources de piratage, moins il sera nécessaire de recourir à des mesures pesant sur les internautes. Il faut donc expérimenter sans délai les dispositifs de filtrage.»

«Automatiquement» , a-t-il dit : ce qui ne peut se faire en recourant à une décision judiciaire pour chaque site illégal visé. L'idée serait donc celle d'un filtrage administratif, directement négocié entre les ayants droit et les fournisseurs d'accès. Ce modèle a déjà été autorisé par la loi Loppsi sous couvert de lutte contre la pédopornographie, et a valu à la France de figurer sur la liste des «pays sous surveillance» établi par Reporters sans frontières . «L'usage de solutions de filtrage doit être limité le plus possible, toujours ordonné par une décision judiciaire, et rester proportionné à la situation» , rappelait à cette occasion Lucie Morillon, responsable du bureau Nouveaux médias chez Reporters sans frontières.

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