Copé collé à la pub en journée

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 9 avril 2010 à 9h46
(mis à jour le 9 avril 2010 à 9h46)

«Avec un tel consensus, qu'est-ce qu'il peut faire d'autre ?» glisse le numéro 2 de France Télévisions, Patrice Duhamel. N'étaient les représentants de TF1 et de M6 en train de ronchonner dans leur coin, il faut bien dire que c'est un sacré consensus. Pour le député socialiste Didier Mathus, c'est «une mesure raisonnable» . Son confrère Patrick Bloche reconnaît même que «ça va desserrer un peu la mise sous tutelle de l'audiovisuel public» . Et, à droite, c'est la même chanson. L'UMP Christian Kert en a des étoiles dans les yeux : «Le consensus va jusqu'à notre collègue Jack Ralite.» Le sénateur communiste a fait le déplacement pour voir ça de lui-même : sa proposition de loi de maintenir la pub sur France Télévisions avant 20 heures, c'est l'UMP qui la reprend à son compte !

Et pas n'importe quel député : Jean-François Copé himself, patron du groupe à l'Assemblée nationale ( lire l'article ). «À titre personnel, a-t-il déclaré hier en apogée d'une table ronde sur la télévision publique et la publicité, je mets en débat l'idée de ne pas la supprimer en journée.»

Et sa troupe d'approuver chaudement. C'est pourtant bien cette même troupe qui, en mars 2009, votait la loi instaurant la suppression de la publicité sur France Télévisions avant 20 heures à compter de fin 2011. Pour le député PS Christian Paul, que la salle Lamartine, où se tient la table ronde, rend poète, la raison de ce brusque revirement est limpide, dit-il, citant Verlaine : «Le printemps, c'est le temps des regrets pour l'UMP.» Sitôt la cuisante défaite des régionales et suivant de près l'abandon de la taxe carbone, voilà que l'autre grande réforme de Nicolas Sarkozy subit un gros coup de frein à main.

Sauf… Sauf que le maintien de la pub en journée a beau être consensuel, il serait tout de même très étonnant de voir le Président accepter sans moufter qu'on taille un short à sa réforme à lui qu'il a voulu, sa réforme pour qu'on lui mette du Thierry la Fronde et du Au théâtre ce soir comme quand il était petit. Et, pour l'heure, il a bien l'air de s'en soucier comme de sa première montre-calculette, de la proposition de Copé. «À ma connaissance, a rétorqué hier le porte-parole du gouvernement, Luc Chatel, le gouvernement n'a pas modifié ses intentions.» Chez François Fillon, on abonde : «Il n'y a pas de changement par rapport à ce qui est prévu.» Itou au ministère de la Culture : «On reste pour l'instant sur l'agenda initial.» Et, chez le Président, on se contente d'un rappel à l'ordre un rien sec : «Respectons le texte de la loi votée par les parlementaires.»

Copé, lui, joue les bons garçons : «Si le gouvernement souhaite qu'on supprime la pub, alors on le fera.» Mais voilà, ainsi que l'ont litanisé hier tous les députés présents, si l'on supprime la pub avant 20 heures, c'est 200 millions d'euros qu'il faudra verser chaque année à France Télévisions : «Et, vu l'état de nos comptes publics» (Copé), «la situation de crise des finances publiques» (Mathus)… D'autant que, explique Christian Kert, «nous ne sommes plus dans l'épure financière du début» .

Reprenons. Suppression de la pub après 20 heures, en vigueur depuis le 5 janvier 2009 : 450 millions d’euros en moins. Et la taxe sur les fournisseurs d’accès, qui devait compenser à hauteur de 350 à 380 millions d’euros, est en passe d’être retoquée à Bruxelles. Gloups. Alors, sortir encore 200 patates, merci bien.

Et puis, serrant le poing pour son «extrême conviction» (hé oui), Patrice Duhamel «considère qu'il n'y a aucun enjeu éditorial en journée» . C'est-à-dire que, même si on supprime la pub diurne, on ne remplacera pas le Renard par la diffusion quotidienne et intégrale de l'œuvre de Straub et Huillet en commençant par Ouvriers, Paysans.

Mais l'idée de conserver la pub ne fait pas que des ravis. Les rivales TF1 et M6, bien sûr, mais surtout Stéphane Courbit qui, associé à Publicis, est en négos exclusives avec France Télévisions pour racheter 70% de la régie publicitaire. Tous l'ont martelé hier : «Si la publicité n'est pas supprimée, la privatisation ne pourra pas se faire dans les mêmes conditions» , dixit Copé. Pour Patrick Bloche, «ce serait, comme disent les jeunes, le double effet Kiss Cool» . À savoir un Courbit ramassant les bénefs de la pub en journée de France Télévisions.

Et ça tombe bien, car Stéphane Courbit était lui aussi de la table ronde, hier. Ça aura évité que les oreilles lui sifflent, tant il a été au centre des débats… À chaque pique évoquant sa proximité avec Nicolas Sarkozy et Alain Minc, muse de la fin de la pub et actionnaire de la société de Courbit, l'ancien patron d'Endemol a pris des notes. Et puis, il a parlé. Il a rappelé que, même à France Télévisions, on n'avait trouvé «aucun problème juridique» au fait qu'il soit producteur (de N'oubliez pas les paroles ) et en même temps patron de la régie. Et le problème de déontologie, alors, déploré même par le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand ? «Je trouve ça insultant et diffamatoire.» Alain Minc, peut-être ? «Je ne crois pas qu'on puisse le qualifier de non honnête.» Enfin, a-t-il affirmé, «le maintien de la pub est prévu dans l'appel d'offres» . Ah tiens ? En fait, si la régie privatisée rapporte plus que prévu, l'acheteur devra allonger un peu de rab à France Télévisions. Mais, comme l'a dit le patelin Patrice Duhamel, «on ne peut pas nier qu'il y ait un risque de climat de suspicion» . Bref, que tout ça sent fortement le gaz.

Paru dans Libération du 8 avril 2010

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