Les bibliothèques, pirates de la copie privée ?

par Sophian Fanen
publié le 12 janvier 2012 à 18h15

Depuis la fin de l'année dernière, et suite au toilettage de la loi dite Lang de 1985, la copie privée n'est plus autorisée en France qu'à partir de sources «licites», c'est-à-dire acquises légalement (la loi demande même que cette origine légale soit prouvée). Une modification introduite suite à une décision du Conseil d'Etat datant de 2008, qui estime que «la rémunération pour copie privée a pour unique objet de compenser, pour les auteurs, artistes-interprètes et producteurs, la perte de revenus engendrée par l'usage qui est fait licitement et sans leur autorisation de copies d'œuvres fixées sur des phonogrammes ou des vidéogrammes à des fins strictement privées» .

La disposition a depuis fait bondir la Quadrature du Net, mais elle fait aussi gamberger les bibliothécaires et conservateurs qui militent pour la libre circulation de la culture, qui en tirent aujourd'hui une conséquence indirecte plus qu'intéressante.

Comme l'explique Lionel Maurel , en poste à la Bibliothèque nationale de France, la loi parle désormais «de copies "réalisées à partir d'une source licite". Or, le prêt en bibliothèque ou la consultation de documents sur place constituent bien une manière licite d'accéder aux œuvres et donc des "sources licites". Du coup, la nouvelle définition de la copie privée semble étendre avec davantage de certitude le bénéfice de cette exception aux usagers des bibliothèques [ce qui faisait débat auparavant, ndlr]. Concrètement, cela signifie que des usagers de bibliothèques, à condition qu'ils réalisent des copies avec leur propre matériel (leur appareil photo, leur téléphone portable, leur PC chez eux, etc.) et réservent ces copies à leur usage personnel, pourraient réaliser des reproductions à partir de documents consultés ou empruntés en bibliothèque sans tomber sous l'accusation de contrefaçon, y compris lorsque les œuvres en question sont toujours protégées par le droit d'auteur.»

Lionel Maurel précise que dans certains cas, la copie restera illégale, notamment en ce qui concerne les disques, à cause d'un vide juridique qui concerne la légalité même du prêt de CD par les bibliothèques et médiathèques, et qui n'a jamais été comblé. Mais sa réflexion inspire surtout certains de ses collègues. Ainsi, le site Bibliobsession propose désormais de pousser cette logique de libre copie (à usage privé) pour organiser des copy parties .

«Une copy party consisterait à organiser un événement permettant aux usagers équipés de scanners, de téléphone ou d'ordinateurs portables de les amener et d'aller se servir dans les collections des bibliothèques! Voilà qui pourrait être un événement assez fabuleux pour sensibiliser le public aux problématiques du partage des œuvres aujourd'hui. On pourrait même imaginer d'associer à la copy party une conférence sur les nouveaux modèles de rémunération des créateurs, histoire de resituer les vrais enjeux…»

Bon, pas sûr que la BNF ou la Bibliothèque Pablo-Neruda de Pessac voient d'un bon œil des hordes d'abonnés en train de prendre en photo ou de scanner des ouvrages... Mais le débat est posé, et on espère bien être convié à la première copy party .

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus