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Libération

Création & Internet: les majors doivent accepter d’évoluer

Par Christelle de Crémiers, vice-présidente du Mouvement démocrate Paris.
publié le 29 avril 2009 à 8h54
(mis à jour le 29 avril 2009 à 9h04)

C’est l’histoire d’un combat perdu d’avance, qui rappelle celui des éditeurs de partitions contre la radio dans les années 20. Un siècle plus tard, c’est au tour des majors, les groupes mondiaux de distribution de musique, d’accabler le téléchargement sur Internet.

Depuis 2001, la valeur nette des majors américaines a perdu 40 %. Mais atteint aujourd’hui la valeur encore confortable de 9 milliards de dollars, comme en 1992. Au lieu de s’adapter à la dématérialisation, le premier combat des majors a été de répandre l’idée que le téléchargement était du vol et que ce vol était seul responsable de leurs déboires. Pour cela, dès 2003, elles ont poursuivi, sans cadre législatif particulier, des citoyens américains « identifiés » à travers leur adresse informatique. Six ans et 35 000 poursuites après, face aux échecs répétés, elles déclarent forfait. Mais leur objectif est atteint dans la mesure où l’on parle désormais de téléchargement illégal. En 2008, les majors américaines et britanniques ont élaboré le concept de « riposte graduée », toujours sans cadre législatif, en collaboration avec les Fournisseurs d’Accès à Internet. Ceux-ci ont joué mollement le jeu, ont écrit des lettres d’avertissement, et finalement, se sont refusés à couper l’accès à Internet. Personne au monde n’a encore légiféré en matière de riposte graduée à l’encontre des Internautes. La France, avec son projet de loi Création & Internet, est donc observée avec une grande attention.

Or la répression du téléchargement ne peut pas se justifier par la baisse des ventes de CDs. Car celle-ci est due principalement à l’obsolescence de ce support culturel et à la possibilité offerte de nouveau au consommateur d’acheter un seul titre, ce qu’il a toujours voulu, entraînant la fin de la rente de situation de l’album CD de 15 titres à 20 euros. Réprimer le téléchargement pour défendre les droits d’auteur n’est pas justifié non plus. Les « SACEM » américaine, britannique et française voient leurs royalties progresser constamment depuis 24 ans. Enfin, la répression du téléchargement est inutile du point de vue pratique. Il est de plus en plus facile de masquer son identité informatique et de plus en plus courant d’écouter en streaming la musique que l’on veut, quand on veut, sans pour autant la télécharger physiquement.

En 2008, des majors explorent aussi de nouvelles voies. Elles décident d’offrir elles-mêmes des millions de titres en téléchargement apparemment gratuit et de se rémunérer au forfait en passant des accords avec des fournisseurs tiers. Il n’est curieusement plus question de téléchargement «illégal». Il y a aussi des sites avec lesquels les majors acceptent de collaborer, où les auteurs sont rémunérés en fonction du nombre de téléchargements libres. Au-delà de ces innovations économiques, Internet représente une véritable opportunité d’émancipation pour l’artiste, tant pour la production que pour la distribution de ses œuvres, et redonne aux citoyens la promesse d’une diversité culturelle salutaire. Un nouveau modèle économique se dessine où les artistes perçoivent leurs revenus plus directement et où la fréquentation des concerts est en hausse, tout comme celle des salles de cinéma, qui ont amorcé leur révolution compétitive avec le cinéma en trois dimensions.

À la lumière de ce nouveau modèle économique, quel doit être le rôle du politique ? Certainement pas celui d’être l’otage d’industriels arc-boutés sur la riposte graduée. La Suède, l’Allemagne, la Grande-Bretagne ont toutes abandonné leurs tentatives de la légiférer. Ce serait une triste première, alors que la répression du téléchargement est triplement vaine, que de bafouer en France les principes constitutionnels de la protection des données personnelles, du respect des droits de la défense et de l'exclusivité du pouvoir judiciaire en ce qui concerne les libertés fondamentales. Le rôle du politique n’est pas non plus d’anticiper des avancées technologiques qui le surprendront toujours. Il est de veiller à la protection des plus faibles et à l’accès des citoyens à une offre culturelle variée. Après le rejet du projet Création & Internet à l’Assemblée, le Gouvernement persiste à le présenter à nouveau. Il est indispensable que le vote soit solennel, et que chaque député assume sa responsabilité face aux électeurs. Au moment où l’opinion publique occidentale se tourne résolument vers un nouveau modèle économique culturel, la France s’honorerait d’un rejet définitif de cette répression aussi inutile que régressive.

Tribune. Christelle de Crémiers est vice-présidente du Mouvement démocrate Paris.

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