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Libération

Créations à ciel ouvert

par Marie Lechner
publié le 9 février 2008 à 2h16

L’été dernier, trois artistes slovènes décident de changer de nom. Officiellement, ils se prénomment désormais chacun Janez Jansa (nom qui s’avère être également celui de l’actuel Premier ministre slovène). Pour affirmer leur nouvelle identité, ils ont décidé de signer leur nom dans l’espace public, à l’occasion de la Transmediale de Berlin le 28 janvier (Libération du 5 février). Stèles. Leur performance intitulée Signature Event Context, en référence à l’essai de Derrida de 1971, s’est déroulée à minuit dans le Mémorial de l’Holocauste à Berlin. Les trois artistes équipés d’un GPS et d’une caméra ont arpenté les couloirs du labyrinthe en répétant «Jaz sem Janez Jansa» (mon nom est Janez Jansa) et dessiné leur signature en suivant un itinéraire préétabli entre les 2711 stèles de béton. Une signature collective dont le tracé GPS n’était visible que sur Internet. Les traces de la performance n’existent que dans l’espace virtuel de Google Maps. «La signature est une preuve de l’identité de celui qui a signé, elle est originale et ne peut être répétée. Je rends ma personne publique en signant mon nom», dit Janez Jansa. Les trois artistes ont précédemment signé leur nom sur une montagne, avec des pierres blanches ou sur une étoile du Walk of Fame à Hollywood. «Nous étions intéressé par le Mémorial de l’Holocauste comme lieu d’intervention, parce que c’est un monument mais aussi un espace public où l’on peut venir se promener à toute heure du jour, un lieu d’ expérience personnelle comme le décrit l’architecte Peter Eisenman», expliquent les artistes en le citant : «Dans ce contexte, il n’y a pas de nostalgie, pas de mémoire du passé, seule la mémoire vivante de l’expérience individuelle.» Une performance polémique annulée dans un premier temps par les organisateurs du festival «pour des raisons éthiques», avant d’être réintégrée dans l’exposition. Surfaces négligées. Janez Jansa, Janez Jansa et Janez Jansa inscrivent leur démarche dans le land art, plutôt que le graffiti qui consiste également à poser sa signature, de préférence dans les endroits insolites et hors d’atteinte. Depuis que les images satellites sont devenues accessibles à tous via Google Maps ou Google Earth, Yahoo Maps et autres Virtual Earth, de nouveaux espaces s’ouvrent. «Depuis la naissance du graffiti aux Etats-Unis, la seule limite était le ciel. Le graffiti comme discipline sportive a toujours été une course vers de nouveaux superlatifs : plus gros, plus rapide, plus haut. Concurrencés sur les murs par des messages publicitaires, eux-mêmes de plus en plus monumentaux, les graffitis ont migré des façades de maisons vers les auvents, les lignes de train aériennes, voire directement sur les avions», écrit Joule Ferrari du Graffitimuseum de Berlin. D’où l’intérêt croissant pour des surfaces jusque-là négligées, parce que visibles uniquement de la perspective d’un oiseau : les toits plats, les parkings, les rues ... «Ce sont les derniers lieux libres, non fonctionnels. Les graffitis qui tournent leur visage vers le ciel peuvent trouver ici un refuge, pour altérer une dernière fois l’image aérienne d’une ville.» Même si autour des aéroports américains, les toits sont fréquemment envahis par les logos surdimensionnées (posées par des compagnies d’affichage spécialisées comme Roofads par exemple), ces lieux encore relativement vierges, observables désormais depuis la lucarne de son ordinateur, peuvent servir de nouveaux terrains de jeux pour les graffiti artistes, à l’instar de Waxt et Nemo, dont on peut observer le graffiti sur la Google Map de Berlin. Cette empreinte gigantesque peinte sur un toit a inspiré le projet Graffiti For God de Lars Hammerschmidt, une carte qui recense tous les toits plats disponibles dans le centre de Berlin. Sa cartographie s’inspire également de cartes médiévales, centrées souvent autour de Jérusalem avec Dieu en position d’observateur. Poisson géant. Sur le site Google Earth Hacks, une section documente ces messages et signes vus du ciel : déclaration d’amour, graffiti obscène sur un toit de Saint-Etienne, étrange spirale dans le désert égyptien, grand point d’interrogation dans un chantier à Rennes, poisson géant découpé dans l’herbe d’un parc du Montana, empreinte digitale près de Brighton, demande de mariage dans un champ de blé, autant d’espaces d’exposition pour les yeux des satellites. Seule réserve, la plupart des images de Google Earth datent de un à trois ans, et les dates des mises à jour ne sont pas communiquées.

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