Créatures de rêve numérique

par Bruno Icher
publié le 5 décembre 2011 à 13h53

Débarquement imminent de monstres à Paris. Dès le 7 décembre, la fine équipe de Pictoplasma, agence berlinoise spécialisée dans la création de personnages, investit la capitale. La Gaîté lyrique (1) leur servira de camp de base et une vingtaine de galeries parisiennes se sont associées à l'événement. Dans les bagages de Pictoplasma , un cortège de bestioles plus loufoques les unes que les autres, fruit d'un travail créatif de plus de dix ans, impliquant des artistes de toutes nationalités.

Pour résumer la démarche, il faut remonter aux premiers pas d’une culture numérique à la jointure de deux siècles. Autant dire une forme de préhistoire. Des personnages stylisés au langage visuel si explicite, toujours entre caricature et icône, envahissent les sphères de l’image : logo, pub, mode, jeux, signalétique… impossible d’échapper à ce déferlement. Au point de constituer peu à peu une communauté de designers spécialisés dans cet exercice et de former une sorte de monde imaginaire peuplé de ces créatures muettes et irréelles. Quelques-uns de ces designers commencent alors un travail formel sur la création de personnages (le terme anglais character finit par s’imposer) qui ne seraient pas, pour une fois, chargées de représenter quoi que ce soit, et qui ne répondraient pas au cahier des charges habituel.

Ces «nouveaux monstres» ne sont pas forcément sympathiques, pas obligatoirement neutres et sont susceptibles de véhiculer autre chose qu’une marque ou un produit, pour lesquels ils sont généralement créés. Ces personnages peuvent être tristes, dépressifs, hypersexués, fous à lier, malades voire morts, inquiétants ou sensuels et, à mesure que leur communauté grossit, ils finissent par former une cohorte de fantômes d’un univers parallèle.

Ces premiers travaux, réunis sous la bannière de Pictoplasma, sont dans un premier temps, exclusivement graphiques. Au début des années 2000, la ménagerie est à découvrir sur écran avant de former, un peu plus tard, une collection éditée dans plusieurs livres. Compte tenu de leur succès, public (les livres ont été des succès de librairie) et artistique (de plus en plus d’artistes se joignant à la farandole), les créatures ont fini par passer presque naturellement au stade suivant : l’état physique. Des «netartistes» ont redécouvert la matière (bois, métal, tissu, plastique) pour faire franchir une étape post-numérique à leurs petites bêtes. Le rapport au totem n’échappera à personne, à la différence que chacun peut choisir le sien, voire le fabriquer.

Ces dernières années, le bestiaire a pris des dimensions colossales et Pictoplasma est devenu une entité culturelle. À Berlin, un festival a lieu chaque année, nourri de conférences d'artistes du monde entier et une Character Walk , exposition éclatée des dernières créations, est organisée dans des galeries d'art de la ville.

C'est le même schéma qui aura lieu à Paris ce mois-ci. Dernier point, les contributions du public sont les bienvenues avec The Missing Link , le chaînon manquant, un concours de création de bestioles relevant du yéti, ou s'apparentant à quelque chose entre l'homme et l'animal. Au boulot.

(1) Gaîté lyrique, 3 rue Papin, 75003 et dans une vingtaine de galeries à Paris. Du 7 au 30 décembre. Rens. : paris.pictoplasma.com

Paru dans Libération du 3 décembre 2011

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