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Libération

Cyril Viguier, servile public

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 19 septembre 2011 à 12h29
(mis à jour le 19 septembre 2011 à 14h32)

Oui, Didier Barbelivien est sarkozyste, mais ça ne l'empêche pas de composer de magnifiques chansons. Penchons-nous donc sur les paroles de Quitter l'autoroute , qu'il livra à la France percluse de socialisme enkysté des années 90 : «C'est fou ce que ça peut être joli une départementale/ C'est fou ce que les gens sont gentils loin de la capitale/ Les rossignols et les marquis dorment à la belle étoile/ Elle est numéro 1 ici la musique des cigales.» Quel chant ! Quelle métrique ! Quelle prosodie ! Alors faudrait peut-être voir à regarder son émission avant de vouer Cyril Viguier aux gémonies sous le misérable prétexte qu'il la doit à Nicolas Sarkozy. Cyril qui ? Rholala, faut vraiment tout vous dire : Cyril Viguier, quoi. Viguier qui est à la télévision ce que Barbelivien est la chanson, le succès en moins, mais pas la poésie, ainsi que nous allons voir.

Cyril qui ?

Outre sa propre notice sur Wikipédia (1), ce vieux jeune homme, adepte de full-contact et 17e dan de collusion politico-médiatique, est l'auteur de nombreux exploits. Passé dans les années 90 par la Cinquième (il présentait l'Esprit du sport tout en étant directeur des programmes, normal), dont il a été chassé après une affaire d'évaporation de fonds (qui s'est soldée par un non-lieu au bout de neuf ans), Viguier s'est exilé aux Etats-Unis (pour lancer une chaîne sur le surf, à ce qu'il dit). Et puis, montant une boîte de prod avec David Hallyday (on parle bien de l'improbable croisement entre Johnny Hallyday et Sylvie Vartan), il est revenu prendre sa revanche sur le PAF. Car voilà, Viguier a une idée géniale dont, gentil, il veut nous faire profiter : une émission avec des invités dedans. Las, les ex-hôtes de France Télévisions d'alors, Patrick de Carolis et Patrice Duhamel, un peu ras du bulbe, ne goûtent pas le génie du concept. Tandis que Nicolas Sarkozy, dans les jupons duquel Viguier vient pleurer son amertume, en saisit tout de suite la portée. Le président de la République tente d'imposer Viguier et son émission au groupe, mais en vain. Il faudra attendre la nomination de Rémy Pflimlin par le même Sarkozy à la tête de l'audiovisuel public pour que le talent de Cyril Viguier soit reconnu et son émission programmée.

Cyril quoi ?

Sauf que, bande de rats perclus de certitudes antisarkozystes, vous étiez 59 millions et demi à ne pas être devant votre poste pour assister à l'inauguration de Vendredi sur un plateau la semaine dernière sur France 3. Les 411 498 téléspectateurs et nous (4,2% de parts de marché, et dire qu'on moquait Delarue et ses 9%), on n'a pas été déçus. Ça démarre bien par une petite promo dans le Soir 3 où Cyril Viguier nous allèche : «Des invités viendront honorer Mireille Darc.» Un peu leste, peut-être, mais que diable, il est 23 h 04 et Nounours a déjà envoyé les petits au pieu. Musique : «Pwoïn, pwoïn, pwoïn, pwoïn-pwoïn.» Vous aussi vous avez reconnu cette madeleine blette : le générique de 7 sur 7 . Remixé à l'orgue Bontempi certes, mais par David Hallyday. Ça vous pose son émission et ça donne d'emblée la tonalité très Minitel de Vendredi sur un plateau . Enfin, on découvre le concept pour lequel le petit monsieur a tant joué des coudes : «La vie d'une personnalité comme vous ne l'avez jamais vue, annonce Viguier, à travers les grandes émotions et les grands événements qui ont jalonné et parfois bouleversé sa vie.» Et là, pan : Mireille Darc. Mireille. Darc. «Une icône française» , balance Viguier d'une voix où les trémolos le disputent aux violons. Bisou, public debout. Outre la répétition d' «icône» et d' «iconique» à tout bout de champ, Viguier martèle «le principe» de l'émission, à savoir accueillir des invités chers à Mireille Darc pour qu'ils se racontent des trucs superintéressants. Etrange impression de lire un antique Paris Match chez le dentiste.

Cyril comment ?

C'est ainsi qu'on a appris, stupéfaits, qu'Anthony Delon est allé à l'école. Oui, car il y a eu Anthony Delon, comme invité. Et figurez-vous que Mireille Darc n'a «jamais vu un enfant aussi beau et aussi fragile qu'Anthony» . Et qu'Anthony «boit des coups avec Mimi de temps en temps» . C'est tellement passionnant qu'on se demande si on ne va pas arrêter là cet article pour vous parler d'autre chose (on vous a dit qu'on s'est acheté un nouveau lit ? Non, parce que c'est important de changer de literie régulièrement, le mal au dos, tout ça) quand, soudain, Valéry Giscard d'Estaing. Alors là, pardon. Il vient, nous dit Cyril Viguier, «honorer Mireille Darc» . C'est une manie. Cyril, Cyril, Cyril, Sarkozy ne pourra pas te protéger indéfiniment : Giscard ne va tout de même pas culbuter Mireille Darc, fût-ce devant 411 500 téléspectateurs ? Même pas, Giscard vient juste «lui dire (s)on affecchion» (pardonnez cette imitation au formica de Thierry Le Luron). Et, sous le banc-titre «VGE Mister President !» , c'est reparti pour d'incroyables anecdotes dont une vanne assez méchante de Giscard à l'endroit de Jean Lecanuet (on vous a dit, pour notre lit, ou pas? Parce qu'il faut changer le matelas et le sommier en même temps, hein).

Mais il faut reconnaître qu'il y en a un que ça intéresse : Cyril Viguier. Ses questions tranchent dans le vif : «Est-ce que vous avez souhaité, Mireille, être toujours moderne ?» ou, à Giscard : «Est-ce que vous avez eu le sentiment d'utiliser votre charme pour capter l'électorat féminin ?» Enfin il l'a, son émission. Il est aux anges, fait à ses invités de très élégantes courbettes avec les yeux et pointe son doigt vers la caméra, comme Jean-Luc Lahaye du temps où il animait Lahaye d'honneur en 1987 sur TF1. Il faut l'excuser, Viguier, ça fait longtemps qu'il attendait de revenir. Et longtemps aussi qu'il a lancé les invitations : Mireille Darc, Giscard, Buzz Aldrin, Jean-Pierre Rives, Fiona Gelin… Ça sent l'arbre de Noël 1977 de l'Elysée. «Monsieur le Président, énonce l'obséquieux, Mireille Darc souhaitait aborder les aspects modernes de votre septennat.» Là, il nous faut battre notre coulpe : nous avons diffamé Cyril Viguier. Non, Nicolas Sarkozy n'a pas installé un de ses pions à France Télévisions. Non, Viguier, c'est pour Giscard qu'il roule. Ce vendredi, Viguier recevait Poulidor, la semaine prochaine, ce sera d'Ormesson. Quant à Jean Lecanuet, il est momentanément indisponible, mais Cyril Viguier a le bras long.

(1) Si louangeur que le site participatif avertit qu'il «est trop promotionnel ou publicitaire» .

Paru dans Libération le samedi 17 septembre 2011.

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