D8 : Canal + paye cher le gratuit

Le CSA a finalement autorisé le rachat de Direct 8 par la chaîne cryptée. Non sans conditions.
par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 20 septembre 2012 à 10h42

Ouf. Un instant, on a craint le pire. Un instant, on a craint que le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) contraigne notre Dédé Manoukian à couper ses boucles noires de bandit d'amour arménien afin de ne pas créer une distorsion de concurrence et qu'il n'attire trop de téléspectateurs(-trices) devant Nouvelle Star , que Direct 8 s'apprête à relancer. Mais non, il n'y a rien de tel dans les conditions posées par le CSA au rachat des chaînes de Bolloré par Canal +. Car cette fois, c'est la bonne : un an après avoir annoncé le rachat de Direct 8 et de Direct Star (1), Canal + a enfin vu, mardi, l'opération autorisée par le CSA.

«D8» -- c’est ainsi qu’il faut désormais l’appeler -- va pouvoir pousser son premier cri. Ce sera le 7 octobre à 20 h 35, avec la diffusion du film Million Dollar Baby de Clint Eastwood suivi de MR 73 d’Olivier Marchal, signant ainsi l’entrée pétaradante de Canal + dans le marché de la télévision gratuite.

Si Dédé peut garder ses boucles, les conditions établies par le CSA à la suite de celles édictées, cet été, par l'Autorité de la concurrence sont plutôt sévères. Ainsi D8 n'aura droit qu'à une seule série américaine inédite en prime-time par semaine. Et ce pendant trois ans. L'étau se desserrera légèrement ensuite, le nombre de séries passant à 80 par an. Ce point a été un des plus durs de la négociation entre le CSA et Canal +, encore âprement discuté tard dans la nuit de lundi à mardi, avant que la chaîne cryptée ne lâche l'affaire. Consolation : seules les séries des principaux studios américains sont concernées, ce qui laisse à Canal + le champ libre pour la diffusion de séries non américaines ou encore n'appartenant pas aux principaux studios, comme celles de HBO, par exemple. Ainsi Canal + qui a annoncé la série Game of Thrones pourra la passer sans conditions sur D8.

Autre obligation, D8 devra poireauter un an et demi avant de pouvoir diffuser sur son antenne les fameuses «créations originales» de sa désormais maison mère. Et encore, au départ, le délai évoqué était de trente-six mois. Dès la première semaine de D8 nouvelle mouture, la série policière Braquo (saison 1 en 2009) sera ainsi diffusée à 20 h50. La litanie des contraintes se poursuit : 730 heures de programmes inédits par an (histoire de ne pas faire de la chaîne un robinet à redifs), obligation d'investir fortement dans des films et des fictions français, ainsi que d'acheter les droits de diffusion de productions à petit budget (moins de 7 millions d'euros).

Ce serrage de kiki vient s'ajouter à celui pratiqué par l'Autorité de la concurrence. D8 ne pourra signer des contrats qu'avec un seul des six grands studios américains, devra avoir des équipes d'achat totalement distinctes de celles de Canal +, et n'aura pas d'accès privilégié à son catalogue de films StudioCanal. C'est le cœur de toutes ces obligations. Il s'agit d'empêcher le géant crypté d'assécher d'un coup le marché de la télé gratuite. Il aurait été, sinon, fastoche, pour Canal + d'aller voir les studios américains et de dire : «OK guys [oui, ils parlent tous américain à Canal +, ndlr] , voilà un gros paquet de dollars et pour ça, on vous achète la série Homeland pour le payant et pour le gratuit. Et bien sûr, vous ne vendez rien à TF1, ni à M6, OK ?»

Des restrictions parfois légitimes à la toute-puissance de Canal +, mais de vilaines fées se sont également penchées sur le berceau de D8 : Nonce Paolini et Nicolas de Tavernost. Les PDG de TF1 et de M6 ont sérieusement œuvré dans les coulisses du CSA pour tenter d’imposer leurs vues. Ils ne seraient ainsi pas pour rien dans le (long) délai de diffusion des créations originales de Canal + sur D8 et dans la (forte) restriction du nombre de séries américaines en prime-time : 52 soirées de série pour D8, contre 95 sur TF1 et… 144 sur M6 !

«Ces conditions sont fermes, mais acceptables, balaye Rodolphe Belmer, directeur général de Canal +, on a une convention avec plus d'obligations que les autres, mais ça ne nous empêchera pas de faire une belle chaîne, avec une belle ligne éditoriale.» Et richement dotée avec ça, ce que redoutent précisément TF1 et M6 : 120 millions d'euros de budget, quasi quatre fois plus que ses rivales (TMC, W9, NT1, NRJ 12). Canal + se défend de vouloir s'en prendre à la ménagère de moins de 50 ans chère à TF1 et M6, pour privilégier la cible publicitaire des «CSP +». «CSP +, ça ne veut pas dire cadre supérieur, prétend Belmer, mais c'est le top 50 de la population active, des gens entre 25 et 60 ans qui travaillent plutôt en ville et qui cherchent un divertissement de qualité qui va éveiller leur curiosité.»

Mais on parie que les Laurence Ferrari (flanquée d'Audrey Pulvar et de Roselyne Bachelot pour le talk-show féminin le Grand Huit , hu hu, diffusé à 12 h 15 et rediffusé à 16 h 45), le JT de Daphné Roulier, Cyril Hanouna (que Canal + est allée chiper à France 4 en même temps que son émission Touche pas à mon poste ) et Dédé lui plairont aussi, à la ménagère de moins de 50 ans. D'ailleurs, le slogan de D8 en forme de gonflage de biceps annonce la couleur : «La nouvelle grande chaîne.»

(1) Direct Star, que Canal + a acheté en même temps que Direct 8, devient D17 et restera à dominante musicale.

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