Dans le sens du «spoil»

par Julien Pépinot
publié le 23 août 2011 à 15h49

En matière de spoiler , il existe deux écoles : Ceux se refusant de connaître tout élément de l'intrigue pour conserver la surprise et le plaisir de la découverte qui va avec. Disons-le, ils sont une majorité . Au contraire, certains se complaisent à connaître à l'avance ce qu'il va advenir de leurs personnages préférés. Facilement reconnaissables par leur comportement, ils attaquent directement les livres par leur dernier chapitre avant de les commencer, ou dévoilent compulsivement les balises «anti-spoilers» des forums. Moins nombreux, ils sont regardés par les premiers comme une secte d'hérétiques. Le spoiler - dont la seule définition le condamne, puisque littéralement il «gâche» (« to spoil ») en anglais - est d'ailleurs bien souvent fuit comme la peste. La querelle entre ces deux parties semble durer depuis toujours, et prend parfois, à l'occasion de telle ou telle œuvre, un caractère de guerre sainte. Récemment, la diffusion du très bon Games of Throne ( le Trône de fer ), la nouvelle série à succès d'HBO, a ravivé la flamme. Adaptée de l'épopée de fantasy médiévale de George R. R. Martin, l'intrigue est connue de ceux ayant lu les romans. Nombreux sont donc les spoilers à courir en liberté dans la nature, au grand dam des spectateurs souhaitant rester «vierge» face à ce flot de cliffhangers en folie.

Pourtant, entre ces deux conceptions du monde opposées ( n'ayons pas peur des mots), quelle est la meilleure approche ?

Une récente étude donne l'avantage aux seconds. Les lecteurs connaissant la fin d'un roman prendraient ainsi plus de plaisir. À l'origine de cette surprenante révélation, deux chercheurs du département de psychologie de l'université de San Diego, Nicholas Christenfeld et Jonathan Leavitt, dont le travail a été publié dans le prestigieux journal Psychological Science . Leur méthode d'étude : Douze courtes histoires, d'auteurs maniant avec dextérité l'art du rebondissement (Agatha Christie, Roald Dahl, John Updike...), qu'ils ont fait lire dans leur version classique ou avec spoilers à un échantillon d'une trentaine de personnes. Le résultat est sans appel : Ceux qui connaissaient en avance des éléments de l'intrigue ont plus apprécié leur lecture.

Comment l'expliquer? «Les histoires sont juste des prétextes aux belles plumes. L'intrigue n'a aucun rapport. Le plaisir est dans l'écriture , avance le professeur Nicholas Christenfeld. Il est aussi possible qu'il soit plus "aisé" de lire une histoire spoilée. D'autres études psychologiques ont démontré que les gens ont une préférence esthétique pour les sujets qui sont plus faciles à percevoir.» Un raisonnement qui s'applique par extension à la littérature tout aussi bien qu'aux séries, aux films, aux jeux vidéo, ou aux comics.

Les chercheurs concluent : «Les histoires sont un élément universel de la culture humaine, la colonne-vertébrale des milliards de dollars de l'industrie du divertissement, et le moyen à travers lequel la religion et les valeurs de la société sont transmises.» En clair, les récits sont importants, mais leur succès ne repose pas sur le simple suspens.

Voilà sûrement pourquoi nous prenons toujours autant de plaisir à relire, revoir, rejouer (rayer la mention inutile) nos œuvres favorites. Après tout, apprécie-t-on moins - attention le spoiler arrive - l'Empire contre Attaque en sachant pertinemment que Darth Vader est le père de Luke Skywalker ? Manquerait plus que ça.

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