Menu
Libération

Dans nos bras, Rayman !

par Olivier Seguret
publié le 29 novembre 2011 à 11h59
(mis à jour le 29 novembre 2011 à 12h02)

Alors là, c’est le coup de grâce ! Voilà des semaines, sinon des mois, que bouillonne l’un des bains ludiques les plus indécents jamais connus de mémoire de gamer : un vortex de jeux dont la créativité, l’éclat technique et le sex-appeal frôlent la lubricité. On se croirait presque dans un bordel, tellement tout brille, séduit et tintinnabule. Et, tandis que ce lupanar bat son plein, on découvre que son plafond supérieur, au dernier étage des sorties avant Noël, cachait encore une orgie qui écrase toutes les autres, un jeu d’une gaîté et d’une énergie prodigieuses, qui non seulement offre la plus grisante partie de plaisir mais remet aussi, à sa manière foldingue, les pendules à l’heure pour toute cette folle saison, dont il devient le point d’orgue.

Oui, Rayman Origins est une merveille. Elle ne tombe pas tout à fait des nues. Son créateur est Michel Ancel, peut-être le meilleur développeur de ce pays, certainement l'un des plus doués au monde. Outre Rayman , sa création depuis 1995, on lui doit les Lapins crétins sous diverses formes, mais surtout King Kong et Beyond Good and Evil , superbe aventure tout en actions et affects, dont le second volet est (très) attendu pour 2012. Depuis que Michel Ancel a présenté, lors du dernier salon E3, quelques niveaux de Rayman Origins , la rumeur accueillait très favorablement ce que l'on anticipait comme un revival haut de gamme, à l'ère de la haute définition, du jeu de plateforme en 2D, genre qui fonda une partie de la culture 16 bits.

Développé par Ancel et l'antenne Montpellier du géant français Ubisoft, ce Rayman Origins a d'ailleurs été imaginé au départ sous le marketing réputé modeste d'un jeu à télécharger. Son excellence et, probablement, son potentiel commercial lui ont finalement donné un destin physique et multisupports -- ce qui forme un souriant paradoxe s'agissant de Rayman, mascotte célèbre pour n'avoir pas de membres…

Dès la prise de contact, c'est comme si l'on sentait vibrer sous la manette toute l'énergie des développeurs, comme si nous était transmise, par innervation, une forme supérieure et exultée de leur splendide travail. Cette délectation réciproque, ce sentiment de plaisir partagé entre ceux qui l'ont dessinée et ceux qui la jouent, formeront d'ailleurs la pierre angulaire de toute l'expérience de Rayman Origins . Premières évidences : la souplesse, la simplicité, l'accueil complice et bienveillant fait à toutes les torsions-contorsions expérimentales que le joueur inflige à son personnage pour mieux s'y adapter. La prise en mains n'est même pas l'affaire de quelques minutes, c'est un bijou d'intuitivité immédiate. Suivront une soixantaine de niveaux dont aucun ne déméritera de cette promesse : une profusion continue de fun, de vitesse hilare, de glisse poilante, de bondissements furieux, de gamelles burlesques et d'explosions bouffonnes. Peu de jeux comme ce Rayman offrent au joueur l'occasion d'être conduit vers l'hébétude suprême du flow state , cet état de grâce fusionnel du gamer (ou du sportif, ou du comédien, ou du musicien) qui fait corps avec son jeu.

Certes, le gameplay d' Origins a quelques exigences, qui tiennent là encore au respect absolu du genre plateforme. Mais elles ne sont pas plus redoutables que chez le roi Mario . La courbe d'évolution du jeu est un costume taillé sur mesure pour chaque gamer, quelle que soit sa dextérité et quel que soit son rythme d'apprentissage. A plusieurs joueurs, la difficulté est divisée, mais le facteur délirant, lui, se multiplie avec le nombre de coopérations (jusqu'à 4). Naturellement, dans les derniers niveaux, l'affaire se corse même pour les mieux affûtés, mais la vraie compétition hardcore que ce Rayman ne manque pas de proposer reste une option : il faudra pour cela ratisser finement tous les niveaux, débusquer les passages secrets et relever les défis contre la montre, rien de tout cela n'étant indispensable pour profiter pleinement du jeu.

À propos de Mario , osera-t-on suggérer que le King trouve là un sérieux prétendant à son héritage ? À l'échelle de l'histoire, le petit moustachu restera l'empereur incontesté de la plateforme. Mais sa couronne semble lui avoir été aujourd'hui dérobée par un lascar hirsute. D'une façon générale, ce Rayman est assez chapardeur mais il n'est jamais plagiaire. Il cite régulièrement, avec autant d'ironie que de révérence, les maîtres anciens de ce genre canonique dont Ancel, à peine quadra, a fait les belles heures de sa jeunesse : Mario , donc, mais aussi Sonic , Crash Bandicoot ou même Metroid (et plus précisément le boss Mother Brain, dont on a bien cru voir une réinterprétation fumante).

En proposant une telle épiphanie jamais crâneuse, un tel éloge voluptueux et élégant du jeu en 2D, cet Origins forme, à lui tout seul, une contre-programmation radicale aux plus belles mécaniques de la concurrence. Mais il n'est pas étanche à la modernité pour autant et sait faire le meilleur usage des ressources de la technologie : dans l'animation des personnages (avec un art du slapstick qui atteint des sommets), dans sa physique générale (une irréprochable horlogerie), dans la palette de ses couleurs (éberluante de finesse et de variété) et enfin dans sa bande-son, avec la partition de ses bruitages contextuels, parfaitement fondue dans une multitude colorée de musiques originales. La diversité du bouquet est telle qu'on a peine, après coup, à en faire tenir mentalement tous les rameaux, comme on l'éprouve face à un univers trop riche pour être représenté. C'est donc un coup de grâce, un vrai. Parce que -- malgré son look absolument improbable, son irrésistible tête à claques, son corps caoutchouteux et évidé -- Rayman s'élève ici vers la pure béatification. Nimbée de fraîcheur, de vigueur et de virtuosité, la mascotte sans bras atteint dans Origins son petit paradis et, à la suite d'un tel prodige, Michel Ancel verra sûrement s'élargir encore la surface de son auréole. La grâce, donc, parce qu'il n'y a pas d'autre mot.

Paru dans Libération du 28 novembre 2011

Rayman Origins , Ubisoft

_ Pour PS3, Xbox 360 et Wii

_ Environ 49 €.

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique