Debout les damnés du JT

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 28 septembre 2009 à 16h24

Balzac disait - ça commence bien, non, ce papier ?- Balzac disait donc, avant que nous soyons interrompus par nous-mêmes : «Plus on est debout, plus on rit.» Pas le dernier pour la déconne, Honoré. Un autre, tiens : «Plutôt mourir debout que vivre à genoux, les petits enfants» , disait Zavatta. Ou était-ce Zapata ? Vous croyez quand même pas qu'on va s'abaisser à des vérifications alors que le vent de l'histoire souffle sur le journalisme, l'ébranlant jusque dans ses fondements ? Ou plutôt, de fait, son fondement qui se décolle peu à peu du cuir moite des fauteuils PDG-Imperator Model 400 : le métier d'informer se fait désormais debout. Ternez d'aiollerursd jnous aussui on fait du jounranlimsde debourt mqis c'est pad facike facile (1). C'était le 7 septembre, il était 20 heures moins le quart, ou plus exactement 19 h 45: une journaliste, Claire Barsacq, présentait l'à peu près 20 heures de M6 debout. Depuis, c'est une déferlante : tels des zombies, les présentateurs télé se lèvent un à un, de chaîne en chaîne, jusqu'à TF1 où, samedi dernier à 13 heures, Claire Chazal est apparue telle qu'on ne l'avait jamais vue : avec des pieds. Mais attention, Claire Chazal n'est pas debout comme l'est Claire Barsacq qui, elle-même, n'est pas debout à la façon de Laurent Bignolas, lequel n'est pas… Vous l'aurez compris : plus on est debout, plus on rit. Anatomie du JT sur pattes.

La valse de Claire B.

Mesurons bien le maelstrom qui frappe nos hommes troncs désormais à racines : c'est comme si Roger Gicquel avait déclamé son «La France a peur» mais vêtu d'un blouson noir. Autant dire qu'avec la présentation debout - et en jean - inaugurée par M6 pour son premier «vrai» JT, on allait voir ce qu'on allait voir. «Différenciant» , le fait de se tenir sur ses petites gambettes, selon Bibiane Godfroid la directrice des programmes de la Six. Comprendre : pas coincé le cul dans son fauteuil comme les vieux crabes des autres chaînes. Pas assis comme le journalisme qu'on pratique en restant derrière son bureau à se gratter paresseusement l'AFP.

«L'idée, c'est qu'un bon professeur est debout» , expliquait à Libération, la même Bibiane Godfroid. Un professeur, mouais. Debout, surtout comme la ménagère qui repasse ou prépare le repas en regardant la Six et à qui ce JT est tout entier dédié : info fast, allégée et «concernante». Loupé : si le 19.45 fait un poil mieux (2,2 millions de téléspectateurs) que feu le désincarné 6 minutes (2 millions), les jeunes désertent, remplacés par des hommes. Le spectacle, peut-être, de la valse de Claire Barsacq : trois pas en avant en ouverture du 19.45 , un sur le côté pour se tourner vers l'écran où s'affichent des infographies, trois en arrière pour accueillir un journaliste et re-trois en avant pour reprendre la parole. A suivre cette danse soulignée d'effets de caméra, l'œil se perd, l'esprit aussi, l'info s'égare. Mais si on ôte le son, c'est assez joli.

Le totem de Laurent B.

Une semaine après les effets de jambe de M6, voilà que l'info de France 3 se met à jouer de la guibole. Damned. C'est le nouveau 19/20 qui démarre désormais à 18 h 30 par une demi-heure de «proximité» . Donc, debout. Logique. Plus proche, tu meurs : dès les premières secondes, Laurent Bignolas t'avance dessus les mains dans les poches, voire les bras croisés (mais pas en même temps), le pas pépère et se plante à côté d'un grand machin truffé d'écrans. Le nouvel axiome de l'info télé se précise : «proximité» égale «debout» plus «écran».

Pour quoi faire, l’écran ? Regardez Bignolas qui lève un majeur nonchalant (l’autre main est dans la poche, c’est dire s’il est cool), effleure façon iPhone ce satané écran, et schjjic, une image apparaît ! Tapote-t-il, notre habile Bignolas, l’un des trois petits écrans placés sous le grand que, magie noire, l’image du riquiqui se retrouve sur le maousse. Et notre Bignolas de tailler le bout de gras avec son «totem», le petit nom de ce dispositif. Exercice périlleux : regarder le type dans l’écran en direct d’une station régionale ? La caméra en plateau ? Bignolas n’a pas encore choisi. Mais on voit du pays. Ici un Mont-Saint-Michel de toute beauté cadré de manière à ce que le producteur de lait interviewé ne gâche pas le paysage. Là, derrière un président de ligue de foot qui témoigne de la violence dans les clubs amateurs, Berck-Plage (vent de Nord-Ouest dominant 2 à 3 Beaufort en soirée, mer belle à agitée).

La fesse de Claire C.

C’était samedi dernier, et c’est comme si elle débarquait directement d’Afghanistan sous l’œil de la caméra. Le générique du JT de 13 heures se termine sur les pas de Claire Chazal entrant en studio. Jupe au-dessus du genou, feuillets à la main. Elle s’arrête. Et là, foi de nous, c’est Mai 68 et la révolution d’Octobre réunis, du jamais vu depuis qu’en 1988 les nouveaux patrons de TF1 privatisée jetèrent Yves Mourousi du 13 heures : Claire Chazal. Pose. Une. Fesse. Sur. Le. Bureau. La gauche, de fesse. Pendant que de la main droite, elle recouvre son genou gauche (oui, Madame est contorsionniste), le cadreur zoome, zoome, mais ouf, il s’arrête laissant à nu le genou blond et rond. De Claire (spéciale cacedédi, big up à tous les Rohmériens qui sont dans la place). Le trouble vous aura-t-il fait oublier l’axiome proximité-debout-écran ? Oui, là aussi, c’est la même chanson. Puisque Claire Chazal inaugurait là une nouvelle formule samedidunaire de son 13 heures désormais consacrée pour une bonne part à une ville de France. Proximité coco. Donc debout. Donc plus proche de la caméra. Donc proximité coco. Ca rentre, là ? Les autres éditions du week-end restant inchangées, Claire laisse ses fesses au vestiaire et son genou sous le bureau.

Une belle jambe

Hors ces grand-messes qui d'un coup se découvrent des pattes, la posture est déjà vue. Sur Canal + et Arte ou sur les chaînes info à l'économie visiblement trop fragile pour acheter des chaises. Prenez Audrey Pulvar passée chez i-télé : c'est, chaque soir, un marathon de deux plombes sur quilles qu'elle doit se farcir. Prenez Elise Lucet, au 13 heures de France 2 contrainte à une acrobatie - marcher sur un plateau télé - pour rejoindre son invité du jour. Prenez, surtout, la championne toutes catégories qui, chaque soir, pire que le marathon de Pulvar ou le saut de haies de Lucet, se livre à un véritable 3 000 mètres steeple: c'est Carole Gaessler dans le Soir 3 . Elle l'entame debout au milieu du décor de Ce soir (ou jamais !) pour annoncer les titres. On la retrouve assise pour dérouler son JT. La revoilà debout à l'avant-scène du plateau pour une interview.

Et elle repart s’asseoir pour reprendre le cours du journal. Avant de se relever pour lancer l’émission de Frédéric Taddéi.

A quand l’admission de la présentation de JT en tant que discipline olympique ? Entre la gymnastique rythmique de Claire Barsacq, l’effleuré moucheté de Laurent Bignolas et le jeté de fesses de Claire Chazal, l’équipe de France de journalisme debout tient une belle brochette de winners.

(1) Cascade réalisée sans trucage et debout devant un clavier d’ordinateur.

Paru dans Libération du 26 septembre 2009

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