Deezer prend du volume

La plateforme de streaming musical a trouvé un nouvel investisseur principal, également propriétaire de la major Warner Music.
par Sophian Fanen
publié le 9 octobre 2012 à 18h18
(mis à jour le 10 octobre 2012 à 12h47)

On savait depuis quelques mois que Deezer, la plateforme musicale française héritière de Blogmusik, cherchait à passer à la vitesse supérieure en attirant de nouveaux investisseurs, afin notamment de se préparer à l'arrivée prévisible d'Apple, de Google ou d'Amazon sur le créneau porteur du streaming.

Le Figaro a éventé l'information ce week-end et Deezer s'apprête à la confirmer demain matin lors d'une conférence de presse prévue à Londres: c'est le fonds d'investissement Access Industries , propriété du milliardaire américain Len Blavatnik , qui devient le premier investisseur de l'entreprise. Access injecte 75 millions d'euros et rachète pour 25 millions de parts déjà existantes. Une trentaine de petits investisseurs en profitent également pour entrer au capital de Deezer, tandis que la part d'Orange, qui était montée à 11% lors de la signature d' un partenariat en 2010 , est diluée à 8-9% dans l'affaire.

Cette augmentation de capital de 15 à plus de 120 millions d'euros marque l'accélération du développement international de Deezer. Décryptage.

Qui est Access Industries?

Ce fonds d'investissement s'est surtout fait connaître en juillet 2011 en rachetant la major du disque Warner Music pour quelque 3 milliards de dollars (2,3 milliards d'euros). Axel Dauchez, PDG de Deezer, explique à Ecrans.fr : «il s'agit d'un partenaire idéal, qui donne une ampleur internationale à Deezer. Nous avons rencontré la Terre entière en matière d'investisseurs, tout ce qui se fait en France, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis. C'est le seul qui a passé du temps à étudier la vision de Deezer et le produit qu'il propose, plus que le business plan. De plus, c'est une équipe qui connait très bien le secteur de la musique et qui sait qu'il est en train de se retourner aujourd'hui.»

L'entrée de ce nouvel actionnaire signe-t-il l'échec du partenariat avec Orange?

Orange était jusqu'ici le plus gros partenaire de Deezer. Leur association mêlait un investissement financier et une association commerciale: l'opérateur de téléphonie versait à la plateforme 2,50 euros par abonné à ses divers forfaits incluant un accès à Deezer, que ce dernier utilise le service ou pas. Ce partenariat a notamment permis à Deezer d'afficher ces deux dernières années un nombre d'utilisateurs supérieur à la réalité (tous les possesseurs d'une offre Deezer ne l'ont pas activée), mais le taux de conversion vers un abonnement payant a peiné à décoller (le chiffre de 200000 abonnés sur un million de forfaits Orange+Deezer a été avancé mais pas confirmé).

_ Ce partenariat avec Orange a été renégocié récemment et reconduit jusqu'en 2015, mais Deezer savait qu'il lui fallait compter sur un autre partenaire d'envergure, Orange ne souhaitant pas se lancer dans la coûteuse aventure du streaming. Pour Axel Dauchez, toutefois, «ces deux années de travail en commun ont été une parfaite lune de miel. Orange nous a apporté une forte croissance et nous a permis de transformer une bonne idée en business durable. Orange reste d'ailleurs notre opérateur de téléphonie partenaire dans les pays où il est présent.»

Quel sera le rôle de Warner Music au sein de Deezer?

C'est une question qui n'aura probablement jamais de réponse officielle, de la même façon qu'on ne sait pas quel est l'impact réel de la présence des quatre majors du disque au sein de Spotify. En effet, selon le site suédois IDG , la plateforme de streaming créée à Stockholm aurait offert 18,8% de ses parts initiales aux quatre géants (qui ne sont plus que trois depuis la dispersion d'EMI entre Universal et Sony) à l'époque de son lancement, principalement afin d'obtenir l'accès à leur vaste catalogue. Universal posséderait ainsi quelques pour-cents, comme Sony et Warner...

_ Cette présence pourrait être diluée par une nouvelle levée de fonds de Spotify, mais elle permet probablement aux majors de peser un minimum dans les orientations prises par le service musical. En sera-t-il de même pour Deezer, qui devient «cousin germain» de Warner selon les mots de son pdg? «Non, le principe c'est le chinese wall [la muraille de Chine, ndlr]: Access reste minoritaire en pourcentage même s'il est le plus gros contributeur désormais, et nous n'aurons aucun lien direct avec Warner. Pour nous ça ne change rien au quotidien, Warner est déjà la major avec laquelle Deezer a les meilleures relations, et ces relations vont continuer comme elles vont continuer avec Universal ou Sony.»

_ On peut néanmoins penser que les droits d'accès au catalogue de Warner Music seront dans le futur moins coûteux pour Deezer, et se poser des questions sur le montant des royalties qui seront versées à la maison cousine pour chaque titre écouté par les internautes, par rapport aux contrats aujourd'hui négociés par Deezer avec les autres acteurs du disque dans le monde. Un éventuel conflit d'intérêt sur ce point guette les deux parties en présence.

Une carte des services de streaming musical disponibles dans le monde, réalisée par PaidContent .

Que va faire Deezer avec ces nouveaux moyens?

Continuer son plan de développement international annoncé en décembre 2011, qui vise à installer la plateforme dans quelque 200 pays au plus vite. Deezer est aujourd'hui disponible dans «une centaine de pays» selon Axel Dauchez [ mise à jour: en réalité un peu moins, puisque certains territoires sont considérés comme des pays sans en être] en Europe, Asie, Afrique et Amérique du Sud.

_ «L'objectif de Deezer est de prendre 5% du marché mondial de la musique d'ici 5 ans» , précise Axel Dauchez. Ce qui passe par un développement dans le monde entier sauf aux Etats-Unis et au Japon, des marchés jugés aujourd'hui «trop coûteux» . «On pense que la croissance à prendre ne se trouve pas aux Etats-Unis, où le ticket d'entrée est trop élevé» , continue le patron de Deezer, qui laisse toutefois entendre que Deezer a désormais les épaules assez solides pour se lancer s'il le souhaite... En attendant, la plateforme compte sur la France et l'Europe, mais aussi «le Mexique, le Brésil, la Turquie, la Russie, l'Indonésie et l'Australie» . Avec un gros défi supplémentaire: adapter la partie éditoriale du site aux attentes locales, puisqu'on n'écoute pas la même chose au même moment en Norvège ou en Thaïlande.

Qui sont ses concurrents principaux?

Pour Axel Dauchez, les concurrents de Deezer ne sont pas les autres services de streaming comme Spotify, Rdio, Mog ou Rhapsody. «Lorsqu'on gagne un abonné, on le prend à Amazon, à iTunes ou au piratage» , explique-t-il. Le streaming de musique est encore dans sa jeunesse et s'oppose donc avant tout à d'autres moyens d'écouter de la musique.

Quelles évolutions de la plateforme peut-on attendre?

Deezer doit annoncer demain matin «une nouvelle version» de son lecteur Web mais ne compte pas révolutionner ses choix techniques. «On parie toujours sur la solution en ligne, commente Axel Dauchez. Il n'y a pas de raison de choisir un lecteur extérieur [comme l'a fait Spotify, ndlr] puisque la bande passante n'est plus un sujet. Il y a 5 ans, on a fait ce choix structurant qui s'avère aujourd'hui payant.» Pour faire fonctionner son service en «one to many» , c'est-à-dire d'un serveur vers les ordinateurs de ses utilisateurs alors que Spotify a choisi une architecture en peer-to-peer, Deezer s'appuie désormais principalement sur des data centers situés en France, au Brésil, en Russie, à Singapour et à Sydney.

Deezer, qui a présenté une année 2011 bénéficiaire revendique aujourd'hui près de 2 millions d'abonnés dans le monde toutes offres confondues, et 22 millions d'utilisateurs.

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