Déjeuners avec Cameron : Murdoch passe à table

The murdogatedossier
par Sonia Delesalle-Stolper
publié le 26 avril 2012 à 15h29

On dirait un feuilleton américain. Le décor de la salle d'audience de la Haute Cour de justice de Londres est d'une neutralité déprimante. Assis devant un mur d'un blanc virginal, face à une simple table de bois sur laquelle sont posés une carafe d'eau, un volumineux dossier et un micro, James Murdoch, 39 ans, a passé hier six longues heures à détailler les déjeuners et petits déjeuners «cosy» -- au moins douze -- partagés au cours des trois dernières années avec le Premier ministre britannique conservateur, David Cameron. Son père, Rupert Murdoch, 81 ans, prend le relais ce matin. Après avoir étudié les relations entre la presse et le public, et notamment les victimes d'écoutes téléphoniques, puis celles entre la presse et la police, la commission Leveson, créée en juillet à la suite du scandale des écoutes téléphoniques de News of the World , est entrée dans sa troisième phase, l'étude des relations entre les médias et le monde politique.

Et le témoignage de James Murdoch, ancien président de News International, la branche britannique de News Corporation, le groupe de médias créé par son père Rupert, apporte un descriptif fascinant de l’étroitesse des liens entretenus avec les politiques, et notamment avec David Cameron, lorsque ce dernier était dans l’opposition, mais également après son élection, en mai 2010.

Ces rendez-vous n'ont évidemment eu aucune influence sur le fait que les journaux du groupe Murdoch ont apporté un soutien appuyé aux conservateurs au moment de la campagne électorale, s'est défendu James Murdoch… Il a par ailleurs reconnu avoir entretenu des relations amicales avec le ministre des Finances, George Osborne. Et ces contacts personnels sont intervenus alors que le groupe Murdoch lançait une offre d'achat pour les 61% des parts du bouquet satellite BSkyB qu'il ne possédait pas encore, en juin 2010. Mais là encore, rien que de très anodin. L'offre a été désavouée en juillet par l'OfCom, l'office de la concurrence, pour cause de scandale des écoutes. James Murdoch a même démissionné en mars de la présidence de BSkyB, «pour éviter de devenir un paratonnerre».

Mais les mois précédant juillet 2011, Frederic Michel, lobbyiste en chef de News International, avait constamment échangé des messages avec le ministre de la Culture, Jeremy Hunt, chargé de donner une recommandation «neutre et indépendante» sur l’offre d’achat de BSkyB. Pas moins de 163 pages de mails entre le ministre et Frederic Michel ont ainsi été remises à la commission d’enquête.

Parallèlement, le 23 décembre, James Murdoch partageait avec David Cameron un déjeuner de Noël dans la résidence de campagne de Rebekah Brooks, ex-directrice générale de News International (elle aussi démissionnée en juillet). Et James Murdoch a reconnu avoir évoqué avec David Cameron, «en passant et en deux minutes» , l'offre sur BSkyB, entre deux commentaires sur la dinde ou le Christmas pudding.

Un porte-parole de David Cameron a sobrement commenté que «le Premier ministre s'attend à être convoqué comme témoin devant l'enquête Leveson et il répondra aux questions qui lui seront posées» . Pendant le reste de son témoignage, James Murdoch, après avoir prêté serment sur la Bible et juré de dire toute la vérité, rien que la vérité, a relaté les joies de son métier à la tête d'un grand groupe de presse.

Son job de président de News International -- dont il a démissionné le 29 février -- consistait à ne rien entendre, à ne rien lire, à ne poser aucune question, à ne rencontrer personne d’importance, et surtout à ne se souvenir de rien. Tout juste signait-il de temps à autre des chèques conséquents de dédommagements à des victimes d’écoutes, pour éviter des poursuites judiciaires, et encore signait-il les yeux fermés. En bref, le fils de Rupert Murdoch, présenté comme son héritier naturel il y a encore quelques mois, a réitéré sa ligne de défense.

L’audition de Rupert Murdoch aujourd’hui est attendue avec intérêt, car il pourrait se venger du sentiment de lâchage par l’ensemble de la classe politique britannique, unanime à condamner les pratiques douteuses de son groupe, après avoir profité pendant des années de son hospitalité, de son champagne et de ses petits fours.

Paru dans Libération du 24 avril 2012

De notre correspondante à Londres

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus