«Démineurs» : et boum, les pirates

par Laureen Ortiz
publié le 20 mai 2010 à 9h13

Démineurs contre pirates, voilà le nouveau blockbuster d'Hollywood. Le producteur français de Démineurs , Nicolas Chartier, à la tête de Voltage Pictures, basée à Hollywood, a fait appel à US Copyright Group, un cabinet d'avocats spécialisé dans la chasse aux pirates, afin de poursuivre des dizaines de milliers de personnes qui ont téléchargé illégalement Démineurs sur Internet. Il faut dire que si ce long métrage, acclamé par la critique, n'a généré que 16 millions de dollars (13 millions d'euros) au box-office américain, il a en revanche eu le vent en poupe sur les sites de partage de fichiers (peer-to-peer), où il était apparu plusieurs mois avant sa sortie en salles. Contacté par Libération , Voltage Pictures a refusé de commenter, précisant que Nicolas Chartier était à Cannes. Tout comme, selon Hollywood Reporter , des avocats du cabinet US Copyright Group, partis au Festival à l'affût de producteurs frustrés dans l'espoir de poursuivre leur campagne antipirates destinée à «sauver le cinéma» , dixit le cabinet.

Depuis janvier, ce groupe d'avocats basé à Washington aurait ciblé environ 50 000 individus accusés d'avoir téléchargé illégalement des films tels la série Z Far Cry , de Uwe Boll. Des titres peu connus, pour la plupart. «Vous pouvez vous imaginer que vu les films concernés jusque-là, l'ordre de grandeur est bien plus important» dans le cas de Démineurs , a noté Thomas Dunlap, l'un des avocats de US Copyright Group. Mais l'offensive laisse l'Amérique sceptique. D'abord sur la nature même de ce cabinet. «L'organisme semble un peu douteux , glisse Jack Lerner, spécialiste de la propriété intellectuelle et d'Internet à l'Université de Californie du Sud (USC). On peut douter qu'il ait réellement le souci de'sauver le cinéma' qu'il affiche.»

En effet, vouloir sauver un secteur qui réalise les plus gros profits de son histoire est, sinon un écran de fumée, au moins une mission étrange. D'autre part, note le spécialiste, la stratégie va à l'encontre de l'industrie du cinéma elle-même : «Celle-ci montre une autre facette que l'industrie musicale, qui poursuit des gens lambda, des étudiants, des lycéens, en leur réclamant des milliers de dollars. Politique qui ne s'est d'ailleurs pas révélée efficace.»

Les procès en chaîne de la Recordings industry association of America -- les défenseurs du disque --, qui n'a vraiment réussi qu'une chose, passer pour le diable en personne, n'ont pas empêché les contre-performances du secteur. Selon les chiffres publiés fin avril par la Fédération internationale de l'industrie phonographique, 80% du déclin (de 7%) des ventes mondiales de musique en 2009 sont le fait des Etats-Unis et du Japon, quand d'autres pays voient leurs ventes grimper. Si ce lobby des labels a encore gagné, la semaine dernière, contre le logiciel LimeWire, il a jugé bon de cesser de persécuter des particuliers.

Le cinéma, lui, s'est bien gardé de se payer cette «politique d'image désastreuse» , observe Lerner. Depuis l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire «MGM Studios contre Grokster» (un site de peer-to-peer fermé depuis), qui établit l' «inducement» , à savoir la responsabilité de tels sites dans la violation du droit d'auteur alors qu'ils prétendent n'être que de simples intermédiaires, le septième art a même cherché à s'adapter à la Toile en fournissant des contenus à des sites tels Hulu et Netflix, basés en Californie. Comme le notait lundi un contributeur de Internetevolution.com, Craig Agranoff, dans un article intitulé : «Ce que la musique doit apprendre d'Hollywood» , «les studios et producteurs de l'industrie du cinéma ont embrassé les médias en ligne et évoluent avec eux, pas contre eux».

US Copyright Group ne se fait pas d'amis, non plus, chez les fournisseurs d'accès à Internet, tel Time Warner qui, pour l'affaire Far Cry , a indiqué au tribunal ne pas avoir les moyens de répondre aux demandes d'identification des adresses IP des usagers accusés de pirater. Selon ses calculs, il pourrait assurer 28 requêtes par mois, au lieu des 809 faites par le cabinet au seul titre de ce film. C'est surtout une question de personnel, donc, et de «priorité immédiate» donnée aux autorités, qui ont besoin de coopération dans le cadre de leurs enquêtes, argue le conglomérat. Finalement, les studios ont trouvé un moyen de décourager le piratage : lors d'une avant-première, à Los Angeles, du film de Gus van Sant, les agents de sécurité ont confisqué les téléphones et fouillé les sacs à l'entrée…

Paru dans Libération du 19 mai 2010

De notre correspondante à Los Angeles

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