«Demon’s» émerveille

par Olivier Seguret
publié le 24 octobre 2010 à 18h11

D emon's Souls est un jeu miraculé. Passé à deux doigts de l'avortement, ce petit chef-d'œuvre développé chez From Software par Hidetaka Miyazaki a failli ne jamais exister. Sony, qui s'était assuré son exclusivité pour la PS3, n'y croyait plus au moment de sa production au Japon et a donc préféré partager les risques en refilant sa casquette d'éditeur à Atlus. Mais le titre a connu, depuis, une carrière inattendue. Un avorton qui vous salue bien : avec des ventes mondiales estimées autour de 700000 exemplaires, sans blitzkrieg médiatique mais avec le bouche-à-oreille comme ambassadeur, Demon's Souls multiplie par cinq les estimations les plus optimistes précédant sa sortie. Sony a d'ailleurs reconnu, par la voix d'un haut responsable, regretter ne pas en avoir fait une vraie propriété maison.

L'histoire est d'autant plus belle que Demon's Souls est un jeu miraculeux. Par l'orgueil, d'abord, qui nous fait vite comprendre ce qui a pu effrayer les équipes de marketing : ce jeu de rôles singulier ne cède à rien. Ni aux lois du marché, ni aux modes, ni aux conformismes en tous genres du game design mondial.

Il ne cède pas davantage, et c'est là le plus courageux, aux attentes d'un joueur devenu capricieux. Malgré un climat de fantasy gothique presque familier dans le genre RPG ainsi qu'un contexte de royaume déchu déjà fréquenté ailleurs, il n'y a pas plus déroutant que le monde de Boletaria, où le joueur erre comme un chien jeté dans les ténèbres. C'est un véritable exercice de dérouillage que nous impose d'abord Demon's Souls : se débarrasser de nos propres conditionnements, renoncer à être gavé de récompenses et flatteries aliénantes, tenter humblement de comprendre avant de chercher à tout prix à avancer. Ou sinon, mourir.

Mourir, dans ce jeu où rien n'est conventionnel, n'équivaut pas à un game over ordinaire mais signifie un retour sous forme ectoplasmique au début du niveau. D'un sadisme de haute précision, Demon's Souls ne récompense réellement qu'une chose : le fait même d'y jouer, parce que seule l'expérience et l'erreur permettent d'y progresser. C'est pourquoi tout le monde s'y casse les dents, mais tous ceux qui persévèrent s'en félicitent.

Car cette difficulté ne tient pas à une résistance particulière des ennemis ou au degré de dextérité requis : elle tient au joueur, et à lui seul, qui doit faire un apprentissage initiatique du monde qu’il profane, parce que c’est sur lui-même et sa qualité, voire sa morale, de joueur que celui-ci en apprend le plus. Quand, enfin, se manifeste un premier et modeste sentiment de maîtrise, la gratification est à la hauteur de l’investissement.

Mais d'autres émerveillements pavent la longue route de Demon's Souls , dont le génie propre tient peut-être au superbe équilibre que le jeu alchimise. D'une part, la rusticité apparente : une épée, un bouclier et des cortèges d'assaillants morts-vivants. De l'autre, la sophistication comme la radicalité des trouvailles et inventions : notamment les subtilités d'un mode online révolutionnaire, qui ne rompt pas le charme solitaire de l'épopée mais l'augmente d'une fraternité aussi mélancolique et lointaine qu'utile. Un équilibre qui fait écho à la leçon éminente de ce jeu, qui ajoute le goût de l'estime pour les autres au travail sur l'estime de soi.

Paru dans Libération du 22 octobre 2010

Demon's Souls (From Software)

_ pour PS3, 55 €.

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