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Libération

Député, ça bosse à reluire

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 16 novembre 2009 à 14h15
(mis à jour le 16 novembre 2009 à 14h16)

Ouais, on vous connaît, vous, les politiques. Dès qu'il s'agit de faire le beau à la télé, y a du monde, mais dès qu'il faut aller au charbon, y a pus personne. J'voudrais vous y voir à faire le journalisse. A se lever à l'aube pour traquer le scoop. A ciseler de la brève qu'on n'en fait pus des comme ça. A vous chantourner de la phrase aux petits oignons rissolés pour que le client, y soit content. Venez-y, les Copé, les Hollande goûter à not' turbin que les technocrates de Bruxelles, y sont en train de tuer… Pardonnez ce brusque prurit démagogique, c'est juste qu'on a vu une émission sur LCP-AN, la chaîne de l'Assemblée nationale. J'aimerais vous y voir …, ça s'intitule, points de suspension inclus. Et ça plonge, façon Vis ma vie au lieu de gaspiller mes impôts à la buvette de l'Assemblée nationale , un député dans le bain de ses administrés. Un élu de la République immergé comme une vulgaire Loana dans la piscine saumâtre de la télé-réalité ? Houla.

Plus près de moi, mon élu

De l'instituteur, Nicolas Dupont-Aignan (non-inscrit) a adopté la panoplie : pull-over noué sur les épaules. Pour le reste, y a du boulot. Au tableau noir, le voilà qui dessine un machin entre ballon dégonflé et vomi de mammouth. Ah, c'est la France ? «C'est moche» , balance un élève. Dupont-Aignan se retourne furibard : «Non mais ho, je te trouve impertinent.» L'impertinent confirme : «La France, elle est moche.» Montant sur les ergots de son identité nationale, Dupont-Aignan s'étrangle : «ELLE EST MOCHE, LA FRANCE ?» Le môme, désignant le pâté au tableau : «Non, mais là.» Et ouais pas fastoche, la vie d'instit. Outre le président du parti Debout la République (et ses trois adhérents, Nicolas, Dupont et Aignan), J'aimerais vous y voir… a déjà fait curer le cul des vaches à l'UMP Laure de la Raudière et récurer les marmites d'un restaurant au Vert Yves Cochet (1). En attendant, le mois prochain, François de Rugy (Verts) en facteur, Valérie Boyer (UMP) en marin-pompier et Pierre Moscovici (PS) en on sait pas quoi encore mais il a dit oui. Le principe : faire vivre à un député une journée d'une profession en rapport avec l'actualité. Ainsi Laure de la Raudière a touché au plus près la crise du lait, jusqu'aux pis des vaches de la famille Auguste. Traite le matin et moissonneuse-batteuse l'aprèm. Et le soir, sur la toile cirée des Auguste, La Raudière épluche les factures : «J'avais pas senti l'urgence de la situation» , constate-t-elle. Nicolas Dupont-Aignan, lui, est rincé à la fin d'une journée de classe : «Épuisant, soupire-t-il, c'est épuisant.» Quant à Yves Cochet, il s'est fait rire au nez quand il a voulu choisir de la viande bio à Rungis. À la plonge, ça va, et en salle, c'est mieux encore : «Je compense le manque de précision par le baratin […] ça, le politique sait faire.»

«36 heures» fiasco

Le tout emballé façon Supernanny avec musique sautillante et pimpant logo qui, cocasse, ponctue les vingt-six minutes d'aventures de nos élus dans la vraie vie du réel des vrais gens. Là, votre sang républicain ne fait qu'un tour : quoiii ? On traîne le discours politique dans la boue de la télévisiooonnn poubeeellle ? Scandaaale ! Là, nos deux neurones se sont entrechoqués : damned, c'est 36 heures ! Souvenez-vous, c'était en 2003, en l'an -4 avant Nicolas Sarkozy. TF1 annonçait une nouvelle émission, déclinée d'un concept de la BBC, et mettait le feu à la pampa médiatico-politique. «L'immersion d'un homme politique dans une famille française afin de lui faire reprendre pied avec la réalité» , expliquait Etienne Mougeotte. Un pilote était en boîte, tourné avec Pierre Bédier sous-ministre aux prisons, qui passait deux jours chez une sage-femme tandis que Jean-François Copé, porte-parole du gouvernement, devait être le premier lofteur politique. Hourvari ! Cris de bête dans l'hémicycle ! Jusqu'à ce que l'alors Premier ministre Jean-Pierre Raffarin (mais si Raffarin, la France d'en bas) interdise ses ministres de 36 heures d'un définitif «On n'a pas besoin d'être en pyjama pour exprimer ses convictions.» Et 36 heures était illico enterré par l'obéissante TF1 sans qu'on aperçoive jamais le pyjama Winnie l'ourson de Jean-François Copé…

Politique de la télé-réalité

Et boum, la bête reparaît. Certes sans pyjama. Certes sur la confidentielle LCP. Mais tous disent avoir oublié 36 heures . Pas Jérôme Caza, chez 2P2L qui produisait l'émission, et voit rouge: «C'est très désagréable de découvrir un programme qui s'inspire largement du nôtre. Nous réfléchissons aux suites à donner à cette affaire!» Mais Ségolène Fossard, la productrice de J'aimerais vous y voir… se défend d'avoir ressuscité 36 heures: «J'étais en Afrique du Sud en 2003 ! Mais je trouve que ce n'est pas de la télé-réalité, les situations ne sont pas artificiellement créées, nous avons à cœur de faire quelque chose qui a du sens.» Oui bon d'accord, on n'a pas vu Cochet gober de gros vers blancs ou Dupont-Aignan embrasser goulûment l'instit dans la piscine mais tout de même : la situation a été mise en place pour l'émission, soit la définition de la télé-réalité. «Je sais à quels démons audiovisuels ça peut renvoyer , plaide Christophe Mouton, directeur des programmes de LCP, nous, nous ne partons pas de la personnalité politique mais de l'actualité.» Pour lui, il s'agit de «faire vivre la politique de manière attractive.» L'une de ces «attractions», François de Rugy n'a pas hésité : «Quand le producteur m'a proposé de faire, selon son expression, un Vis ma vie pour les députés, j'ai dit oui. Je trouve ça bien de montrer que les hommes politiques ne sont pas des zombies venus d'une autre planète.» C'est qu'il n'a pas vu un Yves Cochet total décavé à 4 heures du mat' devant la bidoche à Rungis… En attendant, le concept qui faisait grimper aux rideaux il y a six ans passe aujourd'hui comme dans du beurre fondu. Pourquoi ? Ah vous nous voyez arriver avec nos gros sabots Prada à paillettes que si à 40 ans t'en as pas, t'as raté ta vie ? Eh ben non, c'est Yves Cochet qui les chausse : «Le style Sarkozy, plus exposé et iconographique, est passé par là, alors que Raffarin ou Chirac étaient quand même beaucoup plus distanciés.» Rhôôô, si on ne peut plus faire un papier sans parler de Sarkozy, faut le dire.

(1) Rediffusé sur LCP lundi à 13 h 30 et le 25 novembre à 21 heures.

Paru dans Libération du 14 novembre 2009

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