Derniers numéros de séries

par Fabrice Rousselot
publié le 23 mai 2012 à 12h43

A la télévision américaine, on fait rarement les choses à moitié. L'événement de ce mois de mai avait été préparé depuis des semaines, avec un matraquage intensif de spots radio et télé pour annoncer la fin de «la série qui a changé notre vie» . Le 12 mai, 9,5 millions d'Américains se sont donc pressés devant leur petit écran afin de dire adieu pour toujours, sur ABC, à ces drôles de dames de Wisteria Lane. Gaby, Lynette et les autres, Desperate Housewives en éternelle crise de nerfs, et qui tiraient leur révérence après huit années de bons et loyaux services. Pis encore, les fans de séries ont eu à peine le temps de se remettre de ces funérailles en grande pompe qu'ils ont dû dire adieu, hier soir, à House et à Hugh Laurie, malgré des fidèles de plus en plus accros, sur Fox, aux pitreries maladives du médecin de Princeton à la canne.

Pour les quatre grands networks américains (ABC, CBS, Fox, NBC) la mort annoncée de ces mastodontes marque sans aucun doute un tournant, et même une nouvelle ère. Celle de l'avènement de séries peut-être moins spectaculaires et certainement moins chères à produire. Dans la foulée des annonces d'ABC et de Fox, CBS par exemple a elle aussi décidé d'arrêter son grand classique, CSI : Miami ( les Experts Miami , sur TF1), mettant fin par la même occasion au pire numéro d'acteur du dimanche soir, celui de l'impayable David Caruso, dans le triste rôle d'Horatio Caine. «Nous sommes certainement en train d'entrer dans un nouveau modèle économique pour les grandes chaînes de télévision américaines , confirme Robert Thompson, le directeur du centre Bleier pour la télévision et la culture populaire à l'université Syracuse. Elles seront désormais contraintes de réduire leurs ambitions car il est de plus en plus difficile de capter une audience massive, avec les nombreux choix dont disposent les consommateurs, en commençant par les chaînes câblées ou l'Internet. Ce qui signifie que plus personne ne peut se permettre des séries qui coûtent des millions et des millions de dollars à chaque nouvel opus.»

Pour les nombreux commentateurs qui suivent au plus près le grand monde de la télé outre-Atlantique, Desperate Housewives notamment était déjà considérée comme une «série de transition» , qui recueillait certes entre 8 et 10 millions de téléspectateurs à chaque épisode, mais sans avoir le même impact que certains des plus grands succès de l'histoire récente. «Si l'on parle d'une sitcom qui a marqué une génération, le dernier en date serait Friends , poursuit Robert Thompson, car il est devenu le symbole des années 90 pour toute la planète. Après, c'est devenu beaucoup plus compliqué de rassembler autant de monde autour d'un même programme.»

... Et le dernier épisode de Desperate Housewives.

Au centre des préoccupations des networks américains se trouve donc une inévitable fragmentation de l'audience. Depuis dix ans, les chaînes câblées sont venues perturber la suprématie quasi sans partage des ABC et autres CBS, en produisant des séries plus percutantes et plus innovantes. Délestées des problèmes de censure quant au contenu sexuel ou aux dérapages de langage. Les Soprano , sur HBO, par exemple, ou encore Dexter , sur Showtime, ont attiré une nouvelle tranche de téléspectateurs plus jeunes et plus exigeants, et qui ont peu à peu délaissé la télévision dite traditionnelle. Récemment, dans une interview au New York Times , Zach Van Amburg, le président de la programmation chez Sony Pictures, reconnaissait que certains producteurs et acteurs préfèrent désormais travailler pour les chaînes câblées. Et n'avaient aucune appétence pour les networks.

Plus inquiétant encore peut-être pour la télévision, une étude publiée le 3 mai par l’institut Nielsen a démontré que le nombre de foyers américains possédant un petit écran avait chuté, passant de 115,9 millions en 2010 à 114,7 millions en 2011. Une baisse sans équivalent depuis plus de vingt ans. Pour expliquer le phénomène, les sondeurs pointaient notamment le fait que de plus en plus de gens choisissent de regarder les programmes sur Internet et achètent moins de téléviseurs. De la même façon, durant le dernier trimestre de l’année dernière, l’Américain moyen a passé 153 heures et 19 minutes à regarder la télévision traditionnelle, soit 46 minutes de moins qu’un an plus tôt.

Face à ces nouvelles pratiques, les networks ne sont pas restés sans réagir. Sur Media Decoder , le blog du New York Times consacré à la télévision, le critique Bill Carter relève ainsi que pour compenser le départ de Desperate Housewives , ABC a l'intention de «produire dix nouvelles séries pour la saison 2012-2013» , tandis que NBC en présentera seize. Mais les chaînes ne cachent pas désormais leur intention de réduire le nombre d'épisodes pour chaque saison. Afin de faire baisser les coûts de production et de disposer de fonds suffisants pour renouveler leur offre en cas d'échec. Fox, de son côté, s'est offert peut-être le plus beau succès de ce début d'année avec Touch , le show qui a relancé Kiefer Sutherland après 24 Heures chrono , cette fois en père attentionné d'un enfant autiste qui décode le monde à sa manière.

Paru dans Libération du 22 mai 2012

De notre correspondant à New York

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