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Libération

Des codes barrés vers l'ailleurs

par Marie Lechner
publié le 8 décembre 2007 à 1h56

Des petites mosaïques de carrés noir ou blanc apparaissent timidement dans nos villes, mystérieux signes truffés d'informations que l'oeil ne peut décrypter. Au Japon, ces pictogrammes pixellisés pullulent dans les magazines, les affiches, les dépliants, à la télévision, dans les expositions, jusque dans l'assiette, ornant beignets de crevettes et chocolats.

Jean interactif. Ces codes-barres en deux dimensions sont apparus en 1994 au Japon, sous le nom de QR code (quick response), utilisés à l'origine pour tracer les composants dans une usine de voitures. Ils peuvent contenir bien plus d'informations que le traditionnel code-barres et sont plus faciles à décrypter. Pas besoin d'un laser, il suffit de pointer son téléphone portable, équipé d'un logiciel de décodage (pré-installé ou téléchargé), vers la cible, de la prendre en photo et l'écran affiche les données associées : un numéro de téléphone, un texte, une adresse web renvoyant à une vidéo, un son ou un site. Les tags mobiles, essentiellement à usage publicitaire ou de service (plan de la ville, horaires de bus.), s'exhibent aussi comme logos chic. Depuis mai, une marque française commercialise un jean interactif avec un code brodé sur les fesses. En le shootant, on accède sur Internet à des clips et news. Zadig & Voltaire lance une édition limitée de tee-shirts avec pour motif un QR code permettant de télécharger leur play-list.

Albertine Meunier, alias la Net-artiste Catherine Ramus, se réapproprie le procédé dans ses tee-shirts interactifs. En photographiant le code incrusté dans une phrase, on accède à une vidéo d'artiste : «Do you (QR code) me» fait s'afficher sur l'écran un coeur qui clignote derrière une étiquette «foie d'agneau». Sa boutique en ligne met en évidence la cacophonie des codes, avec la multiplication des formats : outre le QR code, sont apparus le Shotcode, version circulaire, le mobile tag, version à liseré lancée par Nokia, etc.

L'un des attraits de ces codes graphiques est la possibilité de les générer simplement soi-même, de les imprimer, de les afficher sur un site web ou un mur, permettant de lier des contenus immatériels à des objets physiques.

Webjam. En 2006, pour son projet ThéorieM, Albertine Meunier et Caroline Delieutraz ont tagué ces codes sur les trottoirs de Paris. Chaque pochoir appelle un film, quinze en tout répartis en différents points de la ville formant un M sur la Google map de Paris. Les vidéos sont faites de fragments récupérés sur le Net dont des extraits de Metropolis :«Ces graphs ont tous une extension numérique, ça peut être une vidéo, un discours qu'on peut poser sur la ville, une surcouche numérique. C'est comme une "extériorisation" d'Internet dans le monde réel. Chacun peut poser ses affichettes avec leurs contenus associés. Le spectateur ne reçoit plus passivement l'image comme dans une salle de cinéma, il devient interactif, il convoque l'image. Le code 2D introduit une relation différente avec le monde extérieur.»

Dans le cadre de son exposition «Douce France», à l'abbaye de Maubuisson (Val-d'Oise), l'artiste Olga Kisseleva invite à une déambulation, après avoir au préalable doté le visiteur d'un «instrument de navigation» indispensable pour se repérer dans notre société contemporaine. En l'occurrence un portable, qui permet de scanner les codes disséminés dans le parc et de lire les écrits encodés. Ils mènent à un grand tag-sculpture, mosaïque de miroirs et de plaques noires.

Dans leur dernier clip, Integral, critique de la surveillance généralisée, les Pet Shop Boys intercalent une centaine de QR codes qui, si on les photographie, renvoient vers des adresses web sur les droits civiques. Nicolas Frespech, Net-artiste utilise le QR code pour permettre d'accéder facilement à ses oeuvres conçues pour la mobilité comme ses «Instants RSS», «Je colle des QR codes sur des murs, des pare-brise. Si les gens les scannent, ils tombent sur une partie de mon site mobile et des souvenirs particuliers liés à ce lieu. J'aime cette idée de redéfinir la ville, de se l'approprier», explique l'artiste invité à animer une Webjam sur le sujet à l'occasion du festival e-magiciens, à Valenciennes (Libération du 4 décembre) . L'équipe gagnante composée d'étudiants de l'Ecole national du jeu et des médias interactifs (Enjmin), imagine un téléphone qui permettrait de faire des petites vidéos d'un lieu (stockées automatiquement sur un site de partage), et d'imprimer un code associé pour le coller sur les murs. Ainsi en scannant le code, on pourrait voir ces empreintes laissées par d'autres gens, savoir ce qui s'est passé là, la veille ou il y a un an.

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