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Libération

Des comptes à dormir debout

par Andréa Fradin
publié le 7 octobre 2010 à 9h30
(mis à jour le 7 octobre 2010 à 11h06)

Parfois, la blague passe bien sur Twitter. Parfois moins, surtout quand des petits malins parviennent à berner tout le monde. L'épisode du compte d'Arlette Chabot, créé à la suite de son éviction de la direction de l'info de France Télévisions, a ainsi semé le trouble : imitation ou original, ce «salut bande de nazes» tellement caractéristique de l'ancienne directrice de l'info ? Le groupe public s'était empressé de dénoncer l'imposture sur son propre compte -- qu'on espère officiel, celui-là --, avant de prendre en grippe le profil d'un autre de ses animateurs : Patrick Sébastien. «Attention ! Le compte @patsebastien est un fake !» affichait le Twitter de France 2. Sauf que @patsebastien est bien géré par le drille qui fait tourner les serviettes. «C'était un quiproquo, réglé en une demi-heure , explique Sonny Chahinian, en charge des activités numériques de l'animateur. Le compte existait depuis deux ans et passait assez inaperçu. La modification du nom en @patsebastien a créé un petit buzz, et après l'affaire Chabot, les gens de France Télévisions, avec qui nous n'étions pas directement en contact, ont tenté de prévenir le problème.» Une boulette qui révèle les confusions engendrées par Twitter et les risques d'usurpation d'identité.

Le site californien proposait encore récemment une façon d'y remédier, via la procédure de « compte vérifié ». Un badge bleu, déjà présent sur certains profils, était alors attribué aux «comptes actifs et publics» qui en faisaient la demande, via un formulaire à remplir en ligne. Seulement voilà : le 28 septembre, Twitter a annoncé la fermeture de ce programme afin de «construire un meilleur système» .

Le problème ? Le site croule sous les demandes d'authentification. Tant et si bien que l'obtention du précieux badge, dont bénéficient déjà 4322 institutions et personnalités comme Barack Obama , Frédéric Lefebvre et, depuis peu, Patrick Sébastien, se produisait dans le plus grand archaïsme. En plus d'envoyer une photocopie de carte d'identité, commente Sonny Chahinian, «il a fallu faire jouer les relations. Chez Twitter, ils ont des demandes venant du monde entier, et peu de monde pour les traiter. Il faut un coup de piston, des gens qui connaissent quelqu'un chez eux !» Et sur les terres hexagonales, un nom revient à chacune des discussions abordant l'authentification des comptes : Loïc Le Meur. Le plus célèbre des entrepreneurs du Web made in France, expatrié sous le soleil de la Silicon Valley, ne dément pas avoir donné un coup de pouce à certains : «Je l'ai juste fait pour rendre service , explique-t-il. Twitter est une petite équipe totalement débordée depuis deux ans, […] la France ne pèse que quelques pourcentages du total des utilisateurs donc, en gros, tout le monde s'en fiche un peu ici, star ou pas, ministre ou pas.»

@patsebastien

Quant aux faux et usages de faux, Twitter n'interdit pas la création d'un compte parodique, tant que celui-ci «ne tente pas de tromper ou d'induire en erreur» . L'assistance du site y consacre même une pleine page. Ce guide du parfait petit compte Twitter de la raillerie conseille ainsi l'utilisation des termes «n'est pas» , «fake» , ou «fan» pour mieux opérer le distinguo avec le véritable compte.

Car c'est bien l'amalgame qui gène, non la caricature elle-même. Emile Josselin, responsable des contenus web au Parti socialiste, raconte par exemple que le faux profil de Martine Aubry «faisait plutôt rigoler» au PS, jusqu'à ce qu'il soit considéré par l'AFP comme une source valable. Après, si vous exercez vos talents de caricaturiste dans les clous édictés par Twitter, mais que votre compte fait l'objet d'une fermeture, rien ne vous empêche de porter plainte contre le site. «Personne ne le fait , tempère Cédric Manara, spécialiste des questions numériques et professeur à l'EDHC, mais à la lumière du droit français, si j'ai un compte type @Lilianeoublie et qu'on me le supprime, je peux assigner le site en justice pour violation du contrat».

Comme quoi, les «loleurs» ont de beaux jours devant eux sur Twitter.

Paru dans Libération du 6 octobre 2010

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