Des e-mails piratés pour faire capoter Copenhague

par Camille Gévaudan
publié le 24 novembre 2009 à 16h11
(mis à jour le 24 novembre 2009 à 19h00)

Si l'affaire éclate deux semaines avant la grande conférence de Copenhague sur le climat, ce n'est certainement pas un hasard. Elle commence déjà à se faire connaître sous le nom de «Climategate», ayant, pour certains, le potentiel de provoquer un scandale similaire à celui du «Watergate» dans le domaine climatique.

A l'origine de la polémique, 1073 e-mails et plus de 3000 autres documents mis en ligne jeudi, sur un site Internet russe, par des pirates informatiques. Le tout couvre plus de treize ans d'échanges professionnels entre des climatologues du monde entier et ceux travaillant au Climate Research Unit (CRU), un centre de recherche rattaché à l'University of East Anglia (Royaume-Uni) et spécialisé dans l'étude du changement climatique. Le plus récent des courriels est encore tout frais -- il date du 12 novembre dernier -- tandis que le premier de la liste remonte à mars 1996 : il s'agit en réalité du tout premier e-mail envoyé sur les serveurs du CRU. C'est le centre lui-même qui raconte l'anecdote, après avoir reconnu l'authenticité des messages mis en ligne et du piratage dont ils ont été victimes : «un grand nombre de courriels du serveur mail du CRU viennent d'être hackés» .

Parmi le millier de documents récupérés (consultables ici , entre autres), une poignée de messages seulement font parler d'eux. Il y a celui envoyé par Kevin Trenberth à Michael Mann , qui s'étonne des basses températures actuelles à Boulder (Colorado) et dit : «Le fait est que nous ne sommes pas capables d'expliquer l'absence de réchauffement en ce moment» , remettant en question le système d'observation de son centre de recherche . Et surtout le message du 16 novembre 1999 , dans lequel Phil dit voir «utilisé l'astuce "Nature" [référence à la revue scientifique, ndlr]» de Michael Mann pour «masquer le déclin» du réchauffement climatique pour ces dernières années. Les sceptiques s'appuient sur cette phrase pour avancer la théorie d'un complot scientifique visant à manipuler les chiffres du changement climatique, tandis que le CRU minimise l'importance de cette déclaration en rappelant que le mot "astuce" ( trick en anglais) doit être pris dans le sens d'une «bonne manière de traiter un problème» . De plus, une fois remis dans le contexte de sa conversation, l'e-mail semble en réalité faire référence au problème déjà connu -- et déjà abordé dans Nature -- de «la divergence» entre les résultats de relevés instrumentaux et ceux obtenus par dendrochronologie .

Les climato-sceptiques s'offusquent également du mépris dont font parfois preuve les chercheurs à leur encontre, dans des messages tels que celui-ci où ils sont traités d' «idiots» . Rien d'explosif, finalement. Le CRU évoque avec humour la tournure de pétard mouillé que prend l'affaire : «Il n'y aucune preuve de conspiration, aucune mention d'un financement de la recherche climatique par George Soros, aucun grand plan pour "se débarrasser de l' optimum climatique médiéval ", aucune affirmation que le réchauffement climatique est un hoax, aucune preuve de falsification des données, et nous n'avons reçu aucune consigne de nos seigneurs socialistes/communistes/végétariens.»

Plus intéressant que le contenu des documents volés est la méthode employée pour embraser le débat sur le réchauffement en tentant de discréditer le GIEC à quelques jours d'une échéance-clé. Robert Graham, PDG de la société de sécurité informatique Errata Security, a avancé l'hypothèse que le serveur du CRU a été piraté de façon interne, comme cela se révèle être le cas dans 80% des affaires similaires, ou que l'intrusion est le fait d'un professionnel de la climatologie familier du débat sur le réchauffement. Ce ne serait pas la première fois que le hacking serait pratiqué à des fins politiques -- on se souvient notamment du piratage de plusieurs comptes e-mail appartenant à Sarah Palin , lors de sa campagne pour la vice-présidence des États-Unis.

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