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Libération

Des jeux vidéo remontent la morale

par Bruno Icher
publié le 11 novembre 2006 à 0h03

Au siècle dernier, on disait «ludo-éducatif». Un terme sexy en diable qui désignait les jeux vidéo convenables, susceptibles d'enseigner «en s'amusant» quelque chose d'intelligent aux jeunes boulimiques d'images sur écran. L'avantage, c'est que ça rassurait les parents du jeune écervelé qui, au lieu de se livrer chaque mercredi à un génocide d'aliens sur sa console, était fermement conduit à découvrir l'histoire de France avec Adibou.

Sommet. Désormais, c'est plus chic, on dit serious game. Plutôt destinés aux enfants mais pas forcément, les serious games sont des jeux qui font passer un message à vocation pédagogique. Et, pour mieux y parvenir, ils sont le plus souvent en accès gratuit sur l'Internet, contrairement aux jeux sur consoles et PC. Loin de constituer un phénomène négligeable, la tendance prend de l'ampleur. La semaine dernière, s'est tenu, à Washington, le Serious Games Summit, rendez-vous mondial de ce qui se fait de plus pointu dans le domaine. Pour la deuxième année consécutive, Lyon accueillera, les 4 et 5 décembre, l'équivalent de ce salon.

Parmi les thèmes abordés par ces jeux, la santé, l'écologie, la culture, l'humanitaire ou la politique se taillent la part du lion. Autre grand domaine de prédilection : la simulation militaire, ce qui rend un poil discutable la fameuse dimension pédagogique de ces jeux. Ainsi, l'un des grands succès actuels est America's Army, qui incite clairement les forces vives de la nation américaine à s'engager et qui fait partie des dix jeux en ligne les plus joués au monde. Savoureux paradoxe, ce «jeu sérieux» est très proche de Counter Strike, jeu en ligne de guérilla urbaine qui est systématiquement pris pour cible par les détracteurs du jeu vidéo.

Cela n'aura échappé à personne, cette tendance serious est le contre-pied de ce qui constitue le principal attrait des jeux vidéo : leur caractère transgressif. Car que le joueur, l'espace d'une partie, conduise un bolide à tombeau ouvert au coeur d'un centre-ville, se glisse dans la peau d'un gangster à la gâchette facile ou se prenne pour le meilleur footballeur du monde, cela relève d'une même logique fantasmatique : accomplir ce qui est interdit.

Les serious games surfent sur l'idée inverse, donnant au jeu vidéo utilité et respectabilité, vertus plutôt inédites jusqu'à présent. Du coup, les grands professionnels du jeu (éditeurs et fabricants de console) se trouvent face à une alternative délicate : produire des titres politiquement corrects, et donner ainsi une image plus convenable de leur industrie ? Ou poursuivre dans la voie de la transgression, celle qui, historiquement, a fait son succès ?

Chirurgie. Pour l'instant, le seul grand éditeur à s'inscrire dans cette voie est Nintendo qui, pour sa console portable DS, a sorti quelques titres à la fois divertissants et, semble-t-il, efficaces. Notamment, le Programme d'entraînement cérébral du Pr Kawashima qui propose de faire travailler logique et mémoire, Trauma Center, une simulation très romancée d'opérations chirurgicales (n'essayez pas, en vrai, à la maison quand même) ou encore English Training, un programme d'amélioration de son anglais à base de dictées et d'exercices de diction. La firme japonaise en prépare d'autres comme Cooking Mama qui aidera les tocards des fourneaux à produire quelque chose de mangeable.

Si d'autres éditeurs songent à emboîter le pas à Nintendo, le raz-de-marée n'est pas pour demain. D'abord à cause du prix élevé des jeux (entre 40 et 70 euros), rendant l'investissement risqué pour les éditeurs. Ensuite, et surtout, parce que les meilleures offres de serious games sont accessibles gratuitement en ligne. Profitons-en pendant qu'il en est encore temps.

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