Dévoués à l'échec

Virginie Efira sur Canal + ? Un bide. «Seconde Chance» sur TF1 ? Un fiasco. On en passe et des pires. Mais la gamelle cathodique, c’est tout un art : manuel du parfait ratage d’émission.
par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 7 mars 2009 à 9h17
(mis à jour le 7 mars 2009 à 9h18)

Rater. Tout rater. Dans les grandes largeurs, dans les étendues profondes de l'infinitude abyssale qui se dérobe sous nos pas, jusqu'à ressentir dans sa gorge le goût âcre de l'échec comme un relent soudain de l'ultime échec, celui, iro­nique et désespérant, de la vie, que la mort termine (1). Eh ouais, le four tient lieu, alors que certain président nous exhorte à gagner sans cesse, d'action politique. A la télé, bien sûr, ils ont déjà tout compris. Prenez Virginia Efira qu'un chemin pavé de pé­tales de rose et de banknotes a mené de M6 à Canal + pour y présenter une émission comique : en sept numéros, 451 000 téléspectateurs de moyenne, et dimanche dernier Canal presque se retrouvait derrière Arte et W9. Prenez Seconde chance , le feuilleton quotidien soutenu mordicus par TF1 depuis son lancement à l'automne : bing, 1,5 million de téléspectateurs, ça la fout mal pour la première chaîne d'Europe. Et rebing, a annoncé la Une cette semaine, pas de deuxième saison pour Seconde Chance et pendant qu'on en est à faire le ménage, au gnouf Brigade Navarro , héritière de Roger «Navarro j'écoute» Hanin. Des vestes sublimes dont il était urgent de tirer la moelle (car «Sans échec, pas de morale» , disait Momone de Beauvoir) alors que certains patrons de chaînes ont encore le front de sottement ­réussir leurs programmes : guide en cinq leçons pour parfaitement rater son émission.

1. Foirer son casting

Vous êtes, disons, Rodolphe Belmer, patron de Canal +, ou, c'est vous qui voyez, Patrice Duhamel, directeur des antennes de France Télévisions. Ou encore, tous les goûts sont dans la nature et nous ne sommes pas là pour juger, Laurent Storch directeur des programmes de TF1. Le printemps approche et avec lui un frisson voluptueux vous parcourt l'échine : vous voulez vous payer un nouvel animateur pour la rentrée de septembre. Là, vous poussez votre brame : «Mercatooo… Mercatooo…» Belles prises de 2008 : Virginie Efira enlevée à M6 par Belmer, Julien Courbet capturé au lasso chez TF1 par Duhamel, tandis que Storch ramenait dans ses filets un saumon sauvage chouré à Canal + (Laurence Ferrari pour le 20 heures) et une truite de l'élevage LCI (Magali Lunel pour le nouveau Droit de savoir ). Bravo : vous avez tout raté. Efira est un naufrage, Courbet a déjà sombré corps et bien, Ferrari fait du sous l'eau. Quant au Droit de savoir (rebaptisé Enquêtes et révélations , moins poujado) débarrassé de ses oripeaux trash et présenté par une Lunel idoine (cheveux bien rangés, à peine maquillée), c'est un désespoir d'audience itou. Tenez ferme la barre de l'échec, cher Laurent Storch, et cessez séance tenante ce récent relookage de Magali Lunel – cheveux désormais savamment décoiffés à la Bo Derek et effet tee-shirt mouillé à la Bo aussi : ça pourrait bien faire remonter l'audience.

2. Faire sa tête de con

C'est une règle d'airain de base de l'échec réussi : nier. Nier l'échec à venir et nier l'échec survenu. Exemple criant, à la limite du hurlement, Laurent Storch qui, annonçant Seconde Chance lors de la conférence de presse de rentrée de TF1, a prévenu tout le monde : «Si ça marche, y'en aura d'autres ; si ça ne marche pas, y'en aura d'autres.» De même, Canal + qui persiste, tel un petit âne courageux et buté, à braver le succès en poursuivant son Canal presque . Admirable.

3. Faire de l’humour pas drôle

Important, ça. Et en cas de désarroi, ne pas hésiter à consulter la jurisprudence Cauetidienne sur TF1 de janvier 2008 pour y puiser l'inspiration de l'humour pas drôle (gaffe, «Il est interdit de péter dans le tuyau» a déjà été utilisé par Cauet, justement). Canal + l'a jouée fine : une animatrice à la réputation de déconneuse (on parle de Virginie Efira) et rien moins qu'un des auteurs les plus affûtés des Guignols , Ahmed Hamidi. On allait tenir là les nouveaux Nuls, un Saturday Night Live français. Ouf, c'est raté. Dans Canal presque , une parodie de chaîne de télé, chaque dimanche à 19 h 05 en clair (heureux abonnés…), on ne rit en effet pas. Jamais. Présentant un faux JT, Virgine Efira – alias Wendy Rodriguez, «ha-ha» fait mystérieusement le public – reçoit un expert, Jérôme Sava. Et là, tenez-vous les côtes : «Ça va, Jérôme ?» , dit Virginie-Wendy. «Ça va» , répond Jérôme Sava. Un dialogue à retenir pour être sûr de bien louper son émission. Plus tard, Virginie-Wendy est en duplex avec Bison futé. Et là, vous avez deviné : le type porte un bonnet en fourrure avec des cornes de… de… de… Oui, de bison (parce que si ç'avait été des bois de cerf, on aurait ri. Peut-être). «Avant de faire le point sur les bouchons, est-ce que c'est vrai que vous êtes super futé ?» , demande Wenginie-Virdy (cet excellent gag est fourni gracieusement par Libération ). Et Bison de répondre : «Non, je ne suis pas super futé, je suis juste futé, mais c'est déjà pas mal pour un bison.» Les lecteurs qui ont ri sont virés. Et on a les noms.

4. Virer son héros

L'échec est exigeant et réclame des sacrifices. Mais ils sont subtils. Ainsi, vous pourriez décider de virer Virginie Efira pour confier Canal presque aux seconds rôles de l'émission, mais gare, la réussite pourrait bien être au rendez-vous. Prenez exemple sur TF1 où on n'hésite pas à trancher dans le vif. Ainsi Seconde Chance , le feuilleton quotidien racontant les aventures d'Alice, mère de famille cruchasse immergée brutalement chez les requins de la pub. Bon, ça marchottait pas terrible et il fallait agir : zou, dehors Alice. Remplacée en milieu de saison par une ex-coiffeuse, Emilie. C'est gagné : TF1 a annoncé cette semaine qu'elle en resterait à la première saison de Seconde Chance . Une si bonne recette qu'elle a fait des émules chez les mulets de Navarro . Ça faisait quoi, bien vingt ans que ça marchait ­Navarro  ? A désespérer. Allez, hop, au placard le beauf à Mitterrand, remplacé par une brigade portant son nom, et une femme à sa tête. Bingo ! Cette semaine – décidément une belle semaine de perdants – TF1 a mis l'ersatz à la poubelle. Il faut dire que, ne soyons pas avares de compliments, la Une détient la palme 2008 de la lose . Elle a réussi l'impensable : bousiller Star Academy . Comment ? Fastoche mais il fallait y penser : suffisait de se débarrasser du personnage principal, le château. Une fois celui-ci remplacé par un étriqué hôtel particulier, la télé-réalité musicale s'est écroulée, au point qu'on risque de ne pas la revoir cette année, yes !

5. Choisir un horaire bien pourri

Il est des perfectionnistes de l'échec que leurs petits camarades seraient bien inspirés d'imiter. Non contents de cultiver une émission pourrie, certains peaufinent le bide jusqu'à la programmer à des horaires impossibles. Seconde Chance , un feuilleton destiné à fidéliser le téléspectateur jour après jour et ce pendant des années ? Hop, à 16 h 35, horaire nul s'il en est puisqu'on est soit encore à l'école ou au boulot, soit encore en train de faire la sieste, soit les courses… Quasiment géniaux, les programmateurs de TF1 s'il n'y avait ceux de France 2. Qui, à la rentrée dernière se sont dit : tiens, on va mettre Courbet à 19 heures toute la semaine. Toute ? Ah-ah, non : le vendredi, on mettra une émission à visée culturelle, Vendredi si ça m'dit . Comme ça, on est sûr de perdre le téléspectateur. Et de fait, les deux émissions ont été supprimées. Bravo les champions.

(1) Sur dechiretaraceenpoesiequelamaîtresseelle.... .com, les auteurs vendent élégies, madrigaux et lettres anonymes à raison de 0,99 euro la ligne.

Paru dans Libération le 7 mars 2009

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