Critique

«District 9», vassaux spatiaux

Apartheid . Ambitieux premier long sur des aliens citoyens de seconde zone.
par Olivier Seguret
publié le 16 septembre 2009 à 0h00

Si District 9 remporte sans conteste l'oscar du film le plus buzzé de la saison, c'est d'abord parce qu'il présente toutes les qualités désormais requises pour faire sa place là où les choses se jouent : dans le nuage médiatique qui se condense au-dessus du monde «interneté». Son auteur, Neill Blomkamp, est né sud-africain. Il a conquis le Canada via le vidéoclip et la pub, il a réalisé en 2005 le très remarqué Alive in Joburg qui parlait déjà d'un débarquement alien sur le mode mockumentary et qui fait encore les délices de la Toile. Il s'est mis dans la poche Microsoft et, bénédiction suprême, est devenu le protégé officiel de l'ogre geek Peter Jackson, certainement l'une des plus fortes valeurs de présent et d'avenir dans le drôle de nouveau paysage du cinéma mondial.

Virtuose. Les traces de ce pedigree, presque trop parfaitement équilibré en ombres chic et lumières toc, sont lisibles dans District 9. Mais il présente aussi d'autres qualités que celles nécessaires pour assurer à la carrière de Neill Blomkamp le lancement idéal. Il est certain qu'un virtuose est aux manettes et c'est déjà un grand réconfort s'agissant de SF, l'un des genres les plus maltraités par l'histoire du cinéma, du point de vue du style comme des neurones. Le style de Blomkamp est vif et tranché. Il embarque sur-le-champ, dans une forme de réalisme rustique et évident qu'on pourrait s'amuser à rapprocher de la méthode Dardenne, n'était le sujet d'anticipation et sa matière décalée.

Ce récit, au départ, surprend : un vaisseau spatial gigantesque et ruiné flotte sur Johannesburg depuis vingt ans. Les aliens à l'apparence de crevettes bipèdes qui l'habitaient, malades et abandonnés, ont été parqués dans le camp de réfugiés qui donne son titre au film. Lorsqu'un jour on leur impose un déplacement vers un autre camp, ils se révoltent. Toute l'aventure est perçue à travers l'expérience de Wikus (l'ahuri Sharlto Copley, parfait inconnu parfait), agent d'une multinationale chargée d'organiser le transfert, et cette expérience est elle-même largement retransmise à travers l'objectif d'une caméra de téléembedded (l'un des différents registres plastiques qui alimentent le flux général), un peu à la façon du Redacted de De Palma.

Fable. Même s'il est difficile d'associer District 9 à un objet cinématographique connu, il ricoche souvent vers des émotions, ou des procédés, qui rallument les souvenirs, toujours les meilleurs : un parfum de Joe Dante (The Second Civil War), quelque chose de The Fly (de Cronenberg) ou une amplitude dans l'audace ou la folie qui fraternise avec Southland Tales. La lecture, partout entendue et légitime, d'une métaphore de l'apartheid ne résume pas District 9 mais lui donne un fond universel, qui ne fait pas tant écho à une douleur historique qu'à des millions de catastrophes présentes, les camps de réfugiés et les déplacements de ceux-ci, n'anticipant littéralement rien. La meilleure fable cachée derrière le film pourrait cependant être ailleurs et à venir, comme sa fin à la fois poignante, ouverte et cocasse (l'humour est une autre grande et permanente valeur du film), peut permettre d'en rêver.

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