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Libération

Drame de métro

Aiguillage. Remake d’un film de 1974, une prise d’otages souterraine signée Tony Scott avec un Travolta survolté en contre-héros diabolique.
par BAYON
publié le 29 juillet 2009 à 6h52
(mis à jour le 29 juillet 2009 à 6h52)

L'Attaque du métro 123 (The Taking of Pelham 123) est le film haute tension le plus bottant depuis Opération Espadon. Cela tombe bien : le cinéaste Tony Scott (True Romance ou Ennemis d'Etat) et Brian Helgeland, le scénariste (notamment du meilleur film de feu Heath Ledger avec le Mangeur de péchés :Chevalier), ont dû se repasser vingt fois chacun le fleuron existentialiste Opération Espadon, où Ben Laden trouvait la mort des mains de Travolta, sorte de Nemo Zelig Sorje Cagliostro transfuge du Mossad.

Opération Espadon partait d'un curieux talk-show cinéphilique sur Un après-midi de chien. Travolta y exposait, en docte esthète et en gros plan, pourquoi ce script ne tenait au fond pas debout, et comment la vraisemblance du classique 70 (avec sa tension dramatique) eût exigé que le preneur d'otages y passât à l'acte, en déquillant un otage par minute ; là on aurait vu du cinéma… Exactement le programme que se propose le cyberthriller du jour, véritable Opération Espadon 2 à ce titre.

Techniquement, il s'agit d'un «film de négociateur», genre déjà couvert à l'écran par Denzel Washington (Inside Man), ici dans le rôle du héros obscur.

En face, portant bouc idem (dans une suggestion «volte-facesque» qui n’opère pas), le vrai héros, extraordinaire et combustible (uranium enrichi), ressort crépitant du film au décor de centrale.

Tension. Ce héros méphistophélique, le nôtre, est l’un des tout meilleurs acteurs vivants, sinon leur maître à tous, acteur rêvé des Cenci revus Artaud, John Travolta. Pas le Travolta «Elvis Chakiris» des musicals amuse-gueuleSaturday Night Fever ou Grease, certes parfaits dans leur genre ; le Travolta inouï d’après, de la vie après la vie, de la psychiatrie (dépression) et de la scientologie salvifique, celui de la transfiguration, disons à partir de l’archange Michael bâfreur de corn-flakes et affronteur de taureaux, ou de Broken Arrow ; le Travolta bullshit souverain de Basic ou autres Battlefield Earth. On s’inquiétait de lui, notoirement affecté cette année par la mort d’un fils déficient ; inquiétude superflue, il est là immuablement, magnétique, pris en bloc aérien.

Bonnet et barbiche de geek spic apocalyptique, port de danseur militaire, lèvres minces, cheveu noir en perte de vitesse, tension et détente ensemble, imprévisiblement, c’est lui l’esprit, le souffle, le nerf, le corps astral du drame. C’est la bouche oraculaire de ce Travolta Ryder qui donnera le mot métaphysique du mystère panique engagé : «Nous avons chacun une vie à rendre.» Thème développé ailleurs en «Grâce à moi, tu as racheté ta vie. Remets-moi la mienne. A dix, je tire ; et ne me fais pas le coup d’attendre jusqu’à dix…»

Bonneteau. Soit pile une dernière fois, retournée en bonneteau, l'exposition intello distanciée d'Opération Espadon. Chef-d'œuvre dans un chef-d'œuvre, accessoirement compliqué encore d'une relecture-réinterprétation en abyme du modèle 1974, les Pirates du métro (lire ci-dessous), dont le film du jour est un remake, l'Attaque du métro 123 est une véritable machine infernale. Grésillante, cliquetante et déraillante, ourdie en réseau tentaculaire stratifié, comme la cité délirante même de New York subvertie : sirènes et crissements de bagnoles, fracas d'hélicos, trafics d'échangeurs et ponts, central de contrôle du trafic métropolitain (NYC Transit) au-dessus ; et sous terre, écheveau des voies ferrées de l'underground, de Manhattan Transfer à Last Exit to Brooklyn en passant par Grand Central et les rames fantômes.

Le «pari» de Pascal au 36e dessous de la 36e Rue, convoi 123, en l'an 2009, un nœud d'aiguillage comme de Gorgones où se jouerait la condition humaine même. Entre technologie de pointe (écrans de contrôle, feux de freinage et coups de feu, électronique et vermine - gare aux rats…), valeurs boursières et plus-values éthiques, vues du plus bas, d'homme à homme, entre perte et salut.

Le bruitage et le montage, au diapason, confondus en claquements et courts-circuits, cut-up solarisé sur riffs soniques de guitare et lambeaux de nappes synthétiques, sont trépidants, haletants, hachurants.

Idem le duo d'acteurs, duellistes à mots tendus dans un «confessionnal-prison»- tombeau ouvert symbolique, dialogue socratique disjoncté entre une cabine de conducteur de rame perdue et un Cerveau central en échec. La voix de l'un (Denzel) apaise et temporise, l'autre stresse et crie (Travolta) - pour la frime…

L'attaque en soi, de cette Attaque du métro 123, est un modèle - de calage, cadrage, mouvement brownien de caméra, éclairage, tension, solitude du blouseur de fond ; l'ensemble opératiquement digne d'un casse de western melvillien. Le compte à rebours à la clef, bientôt en temps réel, dans la lignée d'un Nous avons gagné ce soir, est non moins exemplaire - exemplairement prenant, palpitant. Pur fatum industriel de tragédie grecque du «rêve américain» réduit à néant : fric, otages, conduits souterrains, flics autodétruits de partout, trafic paralysé, sirènes, blank boursier. C'est la part, primordiale, du décorum : catacombes contemporaines, ruines neuves du modernisme, théâtre de l'Absurde naturel s'articulant autour du fatal «troisième rail», le tout ayant servi réellement de cadre au tournage, et nécessité du coup des mois de cours ultra-sérieux, d'initiation aux lois et dangers du métro.

Balles perdues. Dans le même ordre de choses accessoires de première importance, les comparses anges exterminateurs sont parfaits, quitte à essuyer les plâtres et balles perdues. Luis Guzman, le complice visqueux vite effacé, John Turturro, le flic dépassé, James Gandolfini en maire pourri… Quant aux numéros de bravoure, ils ne manquent évidemment pas. Ni les scènes du IV. Celle de l'aveu, de l'innocent au coupable ou vice versa, est biblique. Le tout assez wellesien (Vérités et Mensonges), de ce point de vue moral et cinématographique.

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