Du bruit autour du Führer

par Isabelle Hanne
publié le 25 octobre 2011 à 17h49

Ils reviennent avec une deuxième apocalypse : deux ans après la série documentaire sur la Seconde Guerre mondiale, le duo Isabelle Clarke-Daniel Costelle livre Apocalypse Hitler narrant la montée au pouvoir dudit dictateur nazi. Avec le même dispositif : des images d'archives colorisées, sonorisées et liées par un commentaire lu par Mathieu Kassovitz. «Comment Hitler a-t-il été possible ?» s'interroge le documentaire, qui couvre les années 1889 à 1934. Si le premier opus (diffusé dans 165 pays) a rencontré un grand succès d'audience -- 6,5 millions de téléspectateurs en moyenne par épisode --, il avait également suscité la polémique, notamment au sujet de la colorisation des archives. Apocalypse, la Deuxième Guerre mondiale défendait son dispositif avec des arguments de prime-time et de grand public. Mais, appliqué à la trajectoire d'un seul homme, Adolf Hitler, le procédé se parodie et aboutit à une caricature.

Le biopic

Hitler «en conflit» avec son père, «autoritaire et porté sur la boisson» . Hitler et sa mère, «le seul être humain qu'[il] ait jamais vraiment aimé» . Hitler éternel célibataire et ses «maîtresses de l'ombre» . Hitler le soldat zélé de la Première Guerre mondiale, l'artiste médiocre qui rate les Beaux-Arts, le manipulateur qui élimine toute opposition… Voici Hitler intime, Hitler le tribun, Hitler l'animal politique, «dopé par la tribune et par la virulence» . Le documentaire insiste sur les techniques de communication politique, très modernes, qu'il utilise. Pour les campagnes du début des années 30, il sillonne le pays en avion, multiplie les discours, signe des autographes. Son visage en gros plan, sur des affiches, est collé partout. On est en plein roman hitlérien : les lames de fond qui mènent Hitler au sommet, la crise de 1929, le chômage et l'inflation, l'antisémitisme des grands industriels ne sont qu'à peine évoqués.

Le film d’anticipation

Sans cesse, le docu vient piocher dans le passé de Hitler pour expliquer ses décisions futures. Sans cesse, il relit l'histoire a posteriori, et trouve toujours des causes aux conséquences. Un positionnement que cristallise parfaitement, au début du film, la superposition d'une image de Mein Kampf (écrit en 1925) et celle de cadavres dans les camps de la mort. Autre rapprochement facile : c'est lors de la Première Guerre mondiale que Hitler apprend «à mépriser la valeur de la vie humaine» . Les lois raciales de Nuremberg sont, forcément, le «prélude à la solution finale» . Dans le deuxième épisode, le film embraye, à partir de l'été 1933, sur le muselage de la presse, les jeunesses hitlériennes, l'enseignement du maniement des armes à l'école. «Mais tout cela, les Allemands ne le savent pas encore, dans cet été de 1933» , remarque, judicieux, le commentaire.

Le technicolor

Pour les auteurs du film, colorer les archives revient à les rendre plus lisibles et accessibles. «Un maquillage» , estimait, à l'inverse, l'historien de l'art et philosophe Georges Didi-Huberman dans Libération , à propos du premier Apocalypse . Car le problème posé par ce passage à la palette, c'est qu'il unifie tous les documents, leur donne une continuité artificielle alors qu'ils sont de sources différentes. Dans Apocalypse Hitler , la nature des archives n'est presque jamais indiquée. Documents privés ? Archives de propagande ? Actualités de l'époque ? Gênant.

Autre procédé : le montage d'archives qui se répondent artificiellement, comme des champs-contrechamps de cinéma. Aux images de l'élite politique allemande insouciante, le film oppose les défilés nazis. Quand arrivent les premières lois antisémites, Apocalypse Hitler confronte les images des Juifs allemands et d'opposants politiques qui fuient le pays, à celles d'Allemands à la plage, en vacances… «L'immense majorité des Allemands s'accommode de la dictature» , commente la voix off.

Le blockbuster

Les nombreuses photos du docu sont «dynamiques» : la caméra s'y promène façon 3D. Cette technique donne une illusion de profondeur de champ et un drôle d'effet de réel. Par-dessus les images, le commentaire, trop bavard, plaque la lecture à avoir des documents sans jamais les laisser s'exprimer. C'est loin d'être innocent : quand la voix off aborde le passé de caporal de Hitler, on a, à l'écran, l'image d'un soldat anonyme. «Le montage de deux authenticités qui n'ont rien à voir -- par exemple tel visage et tel nom propre -- n'est que pur mensonge au regard de l'histoire» , disait déjà Georges Didi-Huberman à propos d' Apocalypse, la Deuxième Guerre mondiale , qui s'applique parfaitement ici. Le commentaire laisse songeur par ses imprécisions et son sensationnalisme : «L'antisémitisme date de toujours et vient de partout» , «l'ombre maléfique de la dictature plane sur l'Allemagne» . Voire par ses accents psychologisants : quand Hitler rate les Beaux-Arts, c'est «parce qu'il a peu de courage» .

Le docu est un blockbuster, avec Hitler en acteur principal, un vrai sens du montage, de la post-synchro (la sonorisation), de la profondeur de champ et de l'étalonnage (la colorisation). Isabelle Clarke le revendique même dans le dossier de presse : la démarche des auteurs tient du «geste artistique» . Et, s'ils utilisent «les codes narratifs et plastiques du cinéma» , c'est parce qu'ils sont «indispensables à une compréhension de l'histoire par le plus grand nombre» . C'est bien ça : Apocalypse Hitler n'est pas un documentaire historique, c'est du cinéma.

Paru dans Libération du 24 octobre 2011

Apocalypse Hitler

_ Documentaire d’Isabelle Clarke et Daniel Costelle

_ France 2, ce soir à 20 h 35.

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