Electroboutique: le fric, c'est chic

par Marie Lechner
publié le 6 février 2008 à 17h18

Il est l'un des pionniers du net-art , le roi de la reprise MIDI des standards rock chantés par un ordinateur antédiluvien (avec son cyberpunk rock band 386 DX ), le co-fondateur de Runme.org , plate forme pour le «software art».

L'artiste russe Alexei Shulgin, chantre du low tech et de la bricole subversive, se serait lui aussi converti au Web 2.0 avec son nouveau projet Media Art 2.0 ?

En pénétrant dans son Electroboutique plastic chic installée dans un coin de la Transmediale à Berlin, on a cru à une plaisanterie. Oeuvres aux couleurs vives, sculptures design, esthétique pop et clinquante, des pièces vendeuses qui feront sensation dans tout salon bourgeois.

« Aujourd'hui, ce n'est plus possible de faire de l'art sur le net, avec Youtube, Flickr and co, tout le monde est créatif, la vision des net-artistes s'est réalisée. Quant aux œuvres d'art média, elles nécessitent beaucoup de subventions. En Russie, elles sont rares, nous avons donc imaginé notre propre modèle économique, afin de ne dépendre de personne » , dit-il tout à fait sérieusement. Comme toute tentative dissidente est aussitôt récupérée et absorbée par le système capitaliste, autant contrôler le processus plutôt que de s'y opposer en vain. »

Teleblaster 1.0 , d'Aristarkh Chernyshev

L'idée de Shulgin et de ses artistes associés Aristarkh Chernyshev et Roman Minaev, « éditer des pièces en édition limitée (comme Ferrari) vendues à des prix accessibles (comme Sony) » .

Et pour ne pas effrayer le client avec des interfaces complexes, la boutique propose des œuvres « tout en un , plug and play » , prêtes à être consommées sans nécessiter d'installation ou de maintenance complexe. « C'est "user friendly", nous n'utilisons pas d'ordinateur, ça ne crashe pas, c'est joli, on peut l'accrocher au mur » , dit-il, soit l'exact opposé de l'esthétique instable, chaotique, définitivement non amicale du net-art.

Televiewer , d'Aristarkh Chernyshev et Alexei Shulgin

On ne peut s'empêcher d'y déceler une pointe d'ironie. Ainsi de ce Personal Art Center , un tableau animé qui produit de l'art de manière continue. Le spectateur est partie intégrante de la pièce, sa silhouette s'intègre dans les différentes déclinaisons entre abstraction géométrique, op- et du pop-art. Autre attraction, le Teleblaster , poste de télévision au design rétrofuturiste, permet de regarder la télévision différemment, le signal diffusé étant complètement distordu. La télévision est également au coeur de Televiewer : la silhouette du spectateur capturée en temps réel s'incruste dans le bombardement constant d'images télévisuelles. « Les programmes télé que nous regardons sont notre propre réflexion, tout comme nous sommes le produit de la propagande télévisuelle. Televiewer donne forme à cette métaphore » expose la notice du catalogue.

La critique du consumérisme s'exprime de façon très littérale dans le Commercial Protest , un écran dans un caddie, où l'image du spectateur se reflète recomposé en une mosaïque de logos de multinationales. « Une œuvre anticapitaliste, vendue à un prix correct » , affiche cyniquement le catalogue.

Urgently! d'Aristarkh Chernyshev

D'autres pièces, moins tapageuses, mais tout aussi séduisantes ironisent sur la société de l'information contemporaine. Comme Urgently! , « une infosculpture qui explore la surcharge informationnelle, le web 2.0 et l'esthétique de l'information. »

L'actualité en provenance de flux d'infos RSS défile sans cesse sur un serpent composé de 5000 diodes electroluminescentes qui s'enroule dans une poubelle géante. Flux incessant d'informations actualisées toutes les secondes, aussitôt obsolètes, jetées à la poubelle, et renouvelées dans un mouvement sans fin.

«Media Art 2.0 est l'avant-garde d'aujourd'hui , écrivent les artistes dans leur manifeste. Nous rendons à l'art ce que le design lui a emprunté au début du Xxe siècle: la recherche de nouvelles formes et contenus, l'expérimentation artistique conçue comme un jeu, et la joie de la vie quotidienne. Nous vivons dans un monde d'interfaces visuelles que nous rendons visibles et tangibles, nous dévoilons les structures du monde contemporain. En infiltrant les espaces publics et domestiques, nous amenons l'art et des esthétiques alternatives dans la vie quotidienne des gens. »

Des gens riches, en tout cas: la pièce Urgently! éditée à cinq exemplaires se négocie autour de 35000 euros.

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