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Libération

Elysée : et le Cast’Or 2012 du meilleur spot est attribué à…

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 16 avril 2012 à 9h27

Vous, on ne sait pas, mais nous, pour l'occasion, on s'est sapé : robe lamée or pour Mademoiselle, smoking pour Monsieur. C'est que ce n'est pas tous les jours que Libération organise la cérémonie des Cast'Or. Baptisés ainsi en hommage à l'un des plus beaux spots de l'histoire de la politique, celui où Antoine Waechter, briguant en 1997 un poste de député, était interviewé par un castor (un faux, hein), les Cast'Or sacrent les plus beaux clips de la campagne officielle. Rien de moins.

Depuis lundi qu’elle a démarré sur les écrans (et les ondes) publics, c’est toujours le même défilé de professions de foi un peu ringard, souvent kitsch mais carrément indispensable. De la pure propagande qui ne ment pas sur la marchandise : votez bibi.

Si depuis 1965 qu'ils sont apparus, les spots officiels ont fait quelques progrès (depuis 2004, les candidats ont le droit de tourner la moitié de leurs productions en extérieur), ils restent tout de même très encadrés : tournés à France Télévisions (c'est l'Etat qui paye l'addition de l'enveloppe globale répartie à égalité entre les candidats soit 1,8 million d'euros en 2007), les clips ne peuvent utiliser ni la Marseillaise, ni drapeau bleu-blanc-rouge (enfin, faut voir, ainsi que nous l'allons voir), ni montrer de bâtiments officiels, ni même «tourner en dérision d'autres candidats» . Raide. Enfin, l'égalité étant de mise, chaque candidat a droit au total à 43 minutes jusqu'au premier tour, réparties en clips de 1 minute et demie et de 3 minutes et demie diffusés par salves sur le service public. Libre à chacun d'en faire autant qu'il le souhaite et à ce jeu-là, c'est Nathalie Arthaud qui l'emporte avec 18 versions , coiffant Jean-Luc Mélenchon et ses 16 spots .

Bon, il est l’heure de décacheter les enveloppes pour découvrir le nom des neuf lauréats (1) ici classés non seulement du pire au meilleur mais en plus titulaire de son Cast’Or personnalisé.

(1) Zut, on a oublié le FN, c’est ballot…

N°9 Jacques Cheminade.

_ Meilleurs dialogues qui font peur

Ça commence comme un film catastrophe. Sur une vidéo de 1995, un prédicateur fou annonce, sans que personne n'en tienne compte, qu' «une crise financière, un krach financier international, une désintégration du système financier et monétaire se produira» . Badabam. Dix-sept ans après, l'homme est toujours là : c'est Jacques Cheminade. Tel est l'un des principaux arguments (avec, bien sûr, la réduction du trajet Terre-Mars grâce à la fusion thermonucléaire contrôlée) du clip de Cheminade : je vous l'avais bien dit, bande de nazes. Forcément, ça fait très peur. Sur fond de quartier d'affaires ou de centrale de Fessenheim, il déroule son programme. Qu'il conclut de cette punchline : «Battons-nous pour cette politique ; le reste revient à bavarder sur le pont du Titanic en naviguant droit vers l'iceberg.»

N°8 Nicolas Dupont-Aignan.

_ Meilleur montage de l’angoisse

Regardez les ronds-de-cuir en train de sabrer en riant le champagne payé par nos impôts ; voyez ces «autorités non élues» de Bruxelles et ces «puissances de l'argent» qui ont «capturé notre électricité, nos autoroutes» . Bigre, voilà un homme en colère. C'est Nicolas Dupont-Aignan qui entame ses clips par un split-screen d'images en noir et blanc, comme un cauchemar de Vietnam dans un mauvais film : Berlusconi, Barroso, Jospin, horreur ! Jusqu'à ce qu'arrive notre SuperDupont, sur fond de ciel bleu : «Je m'appelle Nicolas Dupont-Aignan, je suis marié à Valérie.» Merci, c'est noté. Las, ce n'est pas fini : il a un programme à débiter, le bougre, et ses sourcils éternellement froncés. Les spots se terminent par un extrait de meeting et un discours où NDA évoque un «arbre planté bien droit» . On n'a pas bien saisi.

N°7 François Bayrou.

_ Meilleur nuage sur fond bleu

S'il y a bien une chose que tous les candidats partagent, c'est le nuage. Et le nuage sur fond de ciel bleu s'il vous plaît, parce qu'un ciel gris, ça fait peur. Mais le plus beau, c'est celui de François Bayrou : du chouette cumulus bien cotonneux sur un azur qui promet des jours meilleurs, plus ensoleillés, où la vie sera plus belle et… Mais on s'égare, que voulez-vous, c'est l'effet Bayrou ennuagé. «On a voulu dire le plus sincèrement et simplement ce sur quoi on peut s'engager» , explique son dircom Jean-François Martins. Et ce, ajoute-il, «avec des images de terrain à l'image des Français, pas du fabriqué, du scénographié comme d'autres» . En gros, Bayrou serre des paluches sur des marchés avec des vrais gens dans la vraie vie pendant que Hollande et Sarkozy font Hollywood. C'est bon, on a mordu l'esprit.

N°6 Jean-Luc Mélenchon.

_ Meilleure bande-son qui fait wouah

Dès les premières notes, ça sent la poudre à canon et la fraternité entre tous les hommes : «Wouaaah» , font les chœurs du clip de campagne de Jean-Luc Mélenchon. On a tout bon, souligne son dircom, Arnauld Champremier-Trigano : «On ne voulait pas de musique anxiogène mais quelque chose de joyeux, qui incarne un entrain populaire.» Pour le reste, Mélenchon avait habitué à mieux, niveau spectacle. Là, filmé en deux plans (dont un où il ne regarde pas la caméra), le candidat apparaît sur fond forcément rouge et parle. Pas funky-moumoute, mais c'est fait exprès, voyons : «On n'a pas cherché l'originalité qui est la caractéristique des petits candidats , explique le dircom, l'idée était de le positionner parmi les grands.» Et d'insister : «C'est très éducation populaire.» Mouais, nous, on dirait surtout mou.

N°5 Nicolas Sarkozy.

_ Meilleur drapeau en loucedé

Dis Nicolas, tu veux qu’on te tire l’oreille? On n’avait pas dit que les drapeaux tricolores étaient interdits par le CSA? Et toi, tu mets des images de meeting avec des drapeaux partout… C’est l’esprit des clips de Sarkozy : son programme entrecoupé d’images bleu-blanc-rouge.

Le tout mis en boîte, comme en 2007, par CB TV de feu Christian Blachas. C'est qu'on ne prend pas le clip à la légère chez Sarkozy, explique son conseiller Franck Louvrier : «C'est un des rares moments où le candidat peut s'adresser aux Français les yeux dans les yeux, c'est important.» Sinon, on a balancé Sarkozy au CSA, mais voilà sa réponse : «Nous avons toléré les drapeaux dans les images de meeting.» Comme dirait un certain candidat de l'UMP dans son spot, «le laxisme ne rend pas service à nos enfants.»

N°4 François Hollande.

_ Meilleur François Mitterrand

De la révolution française à François Hollande, il n'y a qu'un pas que le candidat PS franchit les doigts dans le nez, pas gêné : hop. De l'une à l'autre, on sera passé, dans un montage frénétique où tonne la voix de Hollande, par la Commune, Jules Ferry, le Front populaire, de Gaulle, Mitterrand… Oui, ce clip peut vous rappeler quelque chose : celui, précisément, de Mitterrand en 1988. Passons sur cette invocation aux accents lyriques pour s'attarder sur l'autre spot de Hollande, également supervisé par les réalisateurs de télé Philippe Lallemant et de ciné Djamel Bensallah. Nettement plus hollandiste et d'une sobriété de chameau, celui-là : un fond bleu, un seul plan et le candidat socialiste qui cause dedans pendant que s'affichent des mots comme «redressement» et «justice» . Sérieux, si sérieux.

N°3 Nathalie Arthaud.

_ Meilleur fond d’écran tout pourri

Elle a beau jeu, Nathalie Arthaud, de citer dès les premières secondes de son clip son modèle, Arlette Laguiller ; nous, on vous le dit, Lutte ouvrière a changé. Certes, les mots sont les mêmes et il est toujours question, pour les «travailleuses, travailleurs» , d'aller pendre les «gros spéculateurs» avec les tripes des «riches parasites» , mais on ne nous la fait pas, Mademoiselle Arthaud : LO est devenue bling-bling. La preuve : ce décadent fond d'écran à votre gauche dans une des 18 versions oui, 18 (et pas l'ombre d'une autocritique) ! Ces fonds sous-marins luxuriants, ces barrières de corail de nantis, bientôt on va croiser ce nabab de Jojo Le Mérou. Et s'il fallait encore une preuve du vil embourgeoisement de LO : on a compté, chez Nathalie Arthaud, pas moins de trois changements de tenue. Scandaleux.

N°2 Eva Joly

_ Meilleure mise en scène de l’espace

«Plonk, plonk, plonk» : les geeks auront reconnu la bande-son du jeu vidéo Final Fantasy X mixée en boucle un peu hip-hop. On n'est pas étonnés : Eva Joly est un peu space, ce n'est pas nouveau. Voilà la candidate Verte sur fond blanc atelée à la rédaction d'une lettre à la France : «Chère France, je m'adresse à toi, toi qui m'as tout donné, toi que j'ai choisie…» Surgissent des mots sursignifiants : «unité» , «urgence» , «nature» , tandis qu'un montage de foufou intercale des plans des caméras en train de filmer Joly en une étourdissante mise en abyme. «C'est une idée du conseiller d'Eva Joly, Stéphane Pocrain , explique le dircom, Stéphane Sitbon. Il y a de l'intime avec la lettre, et un côté un peu décalé.» Décalé, oui : à un moment, on voit Joly en triple. Trois fois Eva Joly? Ça devrait bien faire dans les 6%, ça.

N°1 Philippe Poutou.

_ Je suis le meilleur spot, je suis…

Faudra-t-il, en 2017, rebaptiser les Cast'Or en Poutou d'or ? C'est possible, tant le candidat du NPA a frappé fort avec des clips déglingos. «Politiquement, on présente une alternative , annonce son directeur de campagne, Thibault Blondin. Pour les clips aussi, et on a joué l'autodérision.» C'est donc ainsi que s'explique cette parodie de Questions pour un champion : «Je suis un candidat salarié qui vit de son travail , demande un Julien Lepers noir à des concurrents qui sèchent lamentablement, je suis un candidat anticapitaliste, je suis, je suis…» Wow. «C'est du fait maison» , précise Blondin, mais on s'en était aperçu. Les clips (il y a aussi un remake de la série de M6 Scènes de ménages et on nous promet un détournement de The Artist ) sont fabriqués par deux militants du NPA. Bref : Philippe Poutou et pis c'est tout.

Paru dans Libération du 13 avril 2012

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