Elysée : une spécialiste de la propriété intellectuelle au cabinet

par Sophian Fanen
publié le 16 mai 2012 à 14h45

Dans le flot pluvieux puis foudroyant de la longue journée de passation de pouvoir entre Nicolas Sarkozy et François Hollande, hier, il y a une information qui nous intéresse ici au plus haut point: la nomination de Sylvie Hubac au poste de directrice de cabinet du président, un rôle qui tient autant du politique (relations avec les élus et les ministres, conseil, synthèse de notes...) que de l'organisation. Elle sera membre du premier cercle qui va entourer le président socialiste, comme on dit.

Ancienne de la fameuse promotion Voltaire avec François Hollande et Ségolène Royal, restée proche du premier, ancienne directrice adjointe du cabinet de Jack Lang au ministère de la Culture (1992-1993) avant de prendre la tête de l'ancienne direction nationale de la Musique, de la Danse, du Théâtre et des Spectacles ( DMDTS ) en 2000, Sylvie Hubac est une personnalité discrète qui connait bien les rouages des grandes administrations.

Mais ce qui nous intéresse dans son CV, ce sont des missions récentes accomplies alors qu'elle assurait la présidence du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique ( CSPLA ) depuis septembre 2010. Ce conseil, explique son site officiel, est «une instance consultative indépendante, chargée de conseiller le ministre de la Culture et de la Communication en matière de propriété littéraire et artistique. Il remplit également une fonction d'observatoire de l'exercice et du respect des droits d'auteurs et des droits voisins.» Il rassemble huit personnalités qualifiées, universitaires ou avocats, des représentants des ministères de la Culture, de la Justice, de l'Éducation nationale ou de l'Économie, des représentants des auteurs, interprêtes, éditeurs, producteurs, diffuseurs, des consommateurs ou encore des fournisseurs d'accès.

Présidente de ce conseil aussi technique que politique, Sylvie Hubac a réalisé un rapport sur la vidéo à la demande pour le Centre national du cinéma. Mais elle a surtout lancé des chantiers qui vont resurgir dans les semaines et mois à venir, lors de la «grande concertation» annoncée sur la politique numérique du nouveau gouvernement, qui doit s'ouvrir en juillet.

L'un d'eux est la mission confiée à la juriste Valérie-Laure Benabou et l'économiste Joëlle Farchy sur le référencement et les droits de propriété intellectuelle au sein des vignettes et extraits publiés par les moteurs de recherche pour faciliter la vie des internautes (et au passage placer des pubs). S'y ajoute un questionnement sur la remontée, dans ces moteurs de recherche automatisés, de liens vers du contenu considéré comme illicite. Ce dossier, qui est entre autres concentré dans la longue et complexe affaire Allostreaming (en gros, l'industrie du cinéma français contre des sites proposant des films en streaming, qui avaient également demandé le déréférencement de ces sites dans le monde entier), préoccupait l'équipe du candidat Hollande pendant la campagne et sera un chantier du nouveau gouvernement.

Autre chantier arpenté par Sylvie Hubac au sein du CSPLA: la transformation de la copie privée afin de l'appliquer au stockage dans les nuages (le cloud en français). Elle avait sur ce sujet confié une autre mission en novembre 2011 à la vice-présidente du CSPLA, assistée du président de l'Afnic (l'association qui gère le domaine .fr) et d'un expert en droit de la communication. L'enjeu, ici, est de voir comment ces espaces de stockage en ligne, qui ne sont pas forcément localisés physiquement en France ou même dans l'Union européenne et qui surtout croisent des données de serveurs dispersés pour les délivrer à la demande, peuvent être assujetis à la copie privée. Un dossier de taille, tant cette copie privée -- qui s'applique entre autres aux disques durs de nos ordinateurs ou de nos téléphones -- est remise en question par la migration des données vers les nuages, qui par principe tend à rendre les disques durs moins essentiels.

«La mission exploratoire a souligné que lorsque des œuvres de l'esprit sont disponibles à distance via plusieurs supports – ordinateur, téléphone portable, baladeur numérique – la réalisation de copies des œuvres pour équiper ces supports ne devient plus indispensable : un même exemplaire de chaque œuvre, stocké "dans les nuages", peut être consulté grâce aux divers équipements connectés. Dans ce contexte, la commission pourra réfléchir aux adaptations éventuellement nécessaires du droit à ces évolutions technologiques, notamment pour assurer la juste rémunération des ayants droit» , détaillait la lettre de mission.

Là encore, le nouveau ministre de la Culture aura ce dossier sur les bras dès son entrée en fonction. Et il y a urgence du côté des ayants droit, qui font pression pour ouvrir un nouvel espace de perception de la copie privée comme ils font pression pour que l'Hadopi ne soit pas démontée trop rapidement (voire pas du tout). Dans ce contexte, on ne sous-entendra pas ici que Sylvie Hubac sera le relais direct du camp des conservateurs de la propriété intellectuelle (contre celui qui prône une modernisation du droit d'auteur pour l'adapter aux usages actuels et futurs en ligne) auprès du nouveau président de la République. Mais sa présence ne sera probablement pas anodine. Dans le meilleur des cas, elle connait les dossiers et les enjeux et pourra les mettre en valeur dans l'agenda politique. Dans le pire, elle jouera le jeu d'une propriété intellectuelle restrictive dans les débats cruciaux qui vont s'ouvrir.

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