En Europe, Spotify repousse ses limites

par Sophian Fanen
publié le 30 mars 2012 à 13h01
(mis à jour le 30 mars 2012 à 15h14)

Spotify vient de procéder à de petits ajustements révélateurs sur sa nouvelle assise auprès des maisons de disques.

Dans un premier temps, la firme suédoise a décidé de prolonger l'absence de restrictions dont bénéficient les utilisateurs de la section gratuite du service aux États-Unis. Ces derniers pourront donc continuer à écouter autant de musique qu'ils le souhaitent sans autre contrainte que les publicités qui viennent s'intercaler sans grâce entre les titres.

En Europe, c'est la seule interdiction d'écouter plus de cinq fois un même titre qui a été levée dans plusieurs pays -- mais pas en France ni en Grande-Bretagne. Depuis avril 2011, et à l'issue là aussi d'un open bar en guise de lune de miel, Spotify impose en effet deux limitations aux utilisateurs non-payants : une limite mensuelle à dix heures d'écoute, et l'impossibilité d'écouter plus de cinq fois le même titre dans le mois.

À l'époque, Spotify, comme Deezer et d'autres services de streaming, avait cédé à la pression de l'industrie du disque, notamment portée par Pascal Nègre, PDG d'Universal Music France, dans une tribune où il estimait que le modèle du streaming financé par la publicité n'avait pas d'avenir et que «la mise en place d'un cadre autour de ces offres [était] essentielle. Nous pourrons ainsi convertir les plus gros consommateurs de musique en abonnés et les inviter à contribuer au financement de la création en accédant à des millions de titres, même hors connexion, sur de multiples terminaux pour un prix inférieur à celui d'un album par mois.»

On attend encore l'étude qui permettrait de faire le tri entre les conséquences de cette nouvelle politique imposée et la naturelle progression du nombre d'abonnés payants, mais il ne faut pas nier son réel impact.

Spotify avait dans la foulée eu l'intelligence de ne pas abandonner pour autant son offre gratuite, qui depuis sa naissance l'a beaucoup servi en permettant aux utilisateurs de se familiariser avec le service avant de se décider à payer ou pas. Spotify avait plutôt choisi d'imposer des limitations. Il n'en reste désormais plus qu'une, la barrière des cinq titres ayant été levée depuis hier en Suède, Norvège, Finlande, Pays-Bas et Espagne.

De leur côté, l'Allemagne, la Belgique, l'Autriche, la Suisse et le Danemark, les derniers pays où Spotify est arrivé, sont encore dans leurs six mois inauguraux sans limitations.

Mais quid de la France et de la Grande-Bretagne? Pour l'instant, la barrière des cinq morceaux y reste active pour de complexes raisons de négociations inachevées avec les maisons de disques. Chez Spotify France, on explique que les négociations avec les ayants droit et leurs représentants se font pays par pays, ce qui explique aussi les grandes variations de catalogue selon le territoire, qui se chiffrent vite en centaines de milliers de titres. Mais la barrière des cinq titres doit également être levée à court terme en France comme outre-Manche.

Cette capture d'écran de Spotify est l'occasion de dire que le nouvel album de La Rumeur sort le 23 avril.

Quoi qu'il en soit, ce petit ajustement mené par Spotify sur son modèle gratuit révèle un changement dans le rapport de force qui oppose le premier service de streaming du monde (qui a dépassé les trois millions d'utilisateurs payants et les sept millions de connexions par jour uniquement via son application sur Facebook), et les maisons de disques.

Ces dernières (et même Universal ) abandonnent peu à peu leurs doutes sur le modèle du streaming, qui fait déjà ses preuves en Scandinavie et s'installe également en France et dans de plus en plus de pays. De leur côté, des investisseurs pourraient mettre la main à la poche pour financer le développement de Spotify, qui tente en ce moment de boucler un nouveau tour de table qui ambitionne (de façon irréaliste selon certains analystes) de valoriser l'entreprise à plus de trois milliards de dollars .

Reste les plus importants: les artistes, qui profitent peu du développement régulier de Spotify et des autres services de streaming (dont Rdio, qui vient d'annoncer son arrivée en Europe) à cause notamment d'une astuce utilisée par les maisons de disques depuis l'émergence de la lecture en ligne.

Nous expliquions ce point assez technique ici , qui permet aux labels de reverser aux artistes (selon le contrat qui les lie) environ 10% de royalties (et souvent moins) sur chaque titre lu en considérant qu'il s'agit d'une vente identique à la vente d'un CD en magasin. Une position contestable, puisque le partage des royalties de cette façon avait été établi il y a des décennies afin de compenser notamment les coûts de fabrication, distribution et promotion qui incombaient aux maisons de disques. Ces frais ayant nettement diminué dans l'univers en ligne, de plus en plus d'artistes estiment que les royalties qui doivent être appliquées au streaming sont celles de la licence, qui se montent fréquemment à 50% des revenus générés.

Le groupement de labels Beggars Group a récemment annoncé qu'il allait désormais appliquer ce principe à tous ses artistes sous contrats (Adele, Radiohead, Bon Iver...), mais il fait à ce jour figure d'anarchiste fou aux yeux d'une bonne partie du monde de la musique. Pendant ce temps, les artistes ne profitent pas de l'explosion du streaming, qui ne fait que commencer.

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