Menu
Libération

En avant, doute

par Bruno Icher
publié le 3 octobre 2012 à 17h37

L'actualité judiciaire étant devenue une des mannes inépuisables de la production télévisuelle, il est probable que le nom de Viguier réveille quelques souvenirs au plus grand nombre. En 2000, un professeur de droit toulousain, Jacques Viguier, est soupçonné d'avoir tué sa femme, Suzanne, et d'avoir fait disparaître le corps. Son principal accusateur est Olivier Durandet, un ami de Suzanne qui se présentera plus tard comme son «compagnon» . C'est lui qui a reconduit la jeune femme à son domicile la nuit de sa disparition et c'est lui qui dirige l'enquête vers l'antagonisme dans lequel versait le couple Viguier. La longue instruction, impliquant plusieurs mois de prison préventive pour Viguier, se heurte à de troublants détails, notamment l'escamotage d'un matelas qui pourrait être tâché du sang de la jeune femme. Dix ans plus tard, en l'absence de preuves concluantes et surtout du corps de Suzanne, Jacques Viguier est acquitté.

Cette histoire, aussi simple que peu spectaculaire, est traversée par l'unique mais puissant poison du doute. Nul ne sait ce qui est arrivé à Suzanne Viguier et personne, hormis l'assassin -- si toutefois il existe --, ne sera jamais en mesure de faire toute la lumière sur cette affaire. Un contexte sur mesure pour Jean-Xavier de Lestrade dont le cheminement du documentaire à la fiction est déjà un sujet passionnant. Car ce réalisateur de 49 ans est depuis le début de sa carrière fasciné par la chose criminelle et par l'exercice de la justice. On lui doit notamment Un coupable idéal , documentaire saisissant sur un gamin noir de Floride accusé de meurtre et dont l'avocat commis d'office, peut-être galvanisé par la présence d'une caméra, parvient in extremis à prouver l'innocence.

Un coupable idéal

Ce film, qui obtient l'oscar 2002, lui ouvre les portes de toutes les télévisions américaines et il enchaîne sur un stupéfiant film, en huit épisodes, à multiples péripéties, The Staircase , dans lequel il partage pendant des mois le quotidien de Michael Peterson, écrivain blanc et riche (le contraire du gamin noir et pauvre d' Un coupable idéal ), accusé d'avoir tué sa femme dans l'escalier de leur grande maison de Caroline du Nord. L'affaire se conclut par la condamnation à perpétuité de Peterson, en octobre 2003, ne reposant sur aucune preuve tangible, avant de rebondir l'an dernier avec la mise en examen pour faux témoignage d'un des principaux accusateurs de Peterson. Lestrade, qui avait renoncé à réaliser des documentaires après le choc du verdict, prépare un nouveau film sur les suites de l'histoire.

Entre-temps, c’est donc vers la fiction que s’est tourné le réalisateur pour explorer cette affaire Viguier qui présente certaines similitudes avec le dossier Peterson. Dans les deux cas, la vérité ne pourra jamais être certaine, sauf si le principal intéressé a commis le crime et qu’il l’avoue. Deuxième point, Jacques Viguier, comme Michael Peterson, possède une forte personnalité, pudique et parfois hautaine, susceptible de provoquer l’antipathie ; elle ne reflète rien d’autre qu’une soif d’indépendance et un refus de se donner en spectacle. Enfin, dernier détail, mais de taille, Jacques Viguier a été jadis le professeur de droit de Jean-Xavier de Lestrade. Bref, il connaît son sujet.

La fiction, très proche des faits réels, que le réalisateur en a tiré exploite remarquablement le danger des apparences. Ici interprété par le roc Thierry Godard ( Engrenages, Un village français ), Bruno Gaillon, le personnage inspiré de Viguier, refuse, pour les besoins de sa cause, de faire semblant d'être dévasté par la disparition de cette femme qu'il n'aime plus, même si cela doit lui coûter sa liberté. Et c'est bien cela que la machine judiciaire, faute de mieux, lui reproche au premier chef : ne pas avoir l'air d'un innocent.

Le recours de Lestrade aux flash-back mettant en scène la jeune femme (Betty Gaillon, jouée par Géraldine Pailhas), ont, du coup, presque un écho superflu. Ils donnent de la chair à la tragédie de ce couple dont la relation se délite mais n’apportent pas grand-chose sur ce qui constitue le centre névralgique de l’affaire, ces années d’enquête, de soupçons, de déchirements intérieurs que rien ne pourra dissiper, et qui font toute la force du film.

Paru dans Libération du 3 octobre 2012

La disparition de Jean-Xavier de Lestrade

_ France 2, ce soir, 20 h 45.

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique