En septembre, Google met les pieds dans le PAF

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 28 juin 2012 à 10h34
(mis à jour le 28 juin 2012 à 10h37)

Ca y est. Depuis le temps que les chaînes traditionnelles le redoutaient, c'est enfin arrivé : Google pose ses grosses papattes sur la télé française. Lundi, un petit communiqué de rien du tout a annoncé l'offensive : «La box Internet Sony avec Google TV sera disponible en septembre 2012.» Google. L'ogre Google, le godzilla de la pub sur Internet, le premier site au monde, valorisé à 180 milliards de dollars (143 milliards d'euros) et des bananes et le proprio, surtout, de la plateforme de vidéos en ligne YouTube. Hier, lors d'un colloque organisé par le cabinet NPA, un participant a fait le calcul : «Une année de contenus YouTube, c'est 43 siècles de contenus TF1.» Vertige. 43 siècles de vidéos qui déboulent d'un coup d'un seul dans le jardinet du PAF et ses 18 nains, ses 3 h 47 de consommation de télé par personne et par jour déjà sévèrement disputées. Ouch.

Bon, calmos, c'est quoi, déjà, ce bouzin ? C'est une boîte, pardon, une box, que l'on branche d'un côté sur son téléviseur et de l'autre sur Internet. Et là, shazam : vous avez tout le Web, mais dans la téloche. Voilà, ça vous fera 200 euros pour la box Sony avec Google TV dedans, disponible dès septembre. Si vous attendez novembre et allongez 100 euros de plus, le truc fera aussi lecteur de Blu-ray. Tout ça, nous direz-vous, pour voir des vidéos de chats qui font les cons ? Tss… Non, c'est la guerre du salon qui s'engage.

«Notre premier constat , explique Stéphane Curtelin, directeur du «home entertainment» chez Sony, c'est que le taux d'équipement en écrans plats des Français a dépassé les 80 %. Et le second constat, c'est qu'il y a plein de choses qu'on fait sur son PC faute de mieux.» Comprendre courbé sur le petit écran de son ordinateur qu'on regarde tout seul et avec un son généralement pourri.

Alors que Google TV c'est, sur sa grande télé plate, les 43 siècles, donc, de YouTube. Depuis deux ans, la plateforme a d'ailleurs lancé « YouTube Leanback », une déclinaison de son site destinée à être facilement utilisée sur un téléviseur avec une télécommande. Classique de la télé connectée, Google TV se présente à l'écran par de gros boutons : YouTube (ça va, on a compris), vidéos à la demande, météo, infos, jeux, musique, etc. Des gros boutons façon applications de smartphones. «On n'en est qu'au début , espère Stéphane Curtelin, il y aura tout ce qu'on peut imaginer comme applications pour un salon, c'est-à-dire qui ne sont pas liées à la mobilité comme celle d'un smartphone.» Genre fitness, cuisine, etc.

Mais la vraie nouveauté dans ce secteur de la télé connectée déjà présente sur le marché, c’est le navigateur web intégré, Chrome, celui conçu par Google, qui donnera, moyennant quelques ajustements graphiques (essayez de regarder votre écran d’ordinateur à trois mètres), un accès immédiat à l’ensemble du Web sur sa télé. Pour naviguer là-dedans, point de souris, mais une bonne vieille télécommande, sacrément customisée tout de même : clavier sur une des faces et, sur l’autre, un «touchpad» comme sur les ordinateurs portables.

Si l’arrivée de cette box peut déclencher un sacré tremblement de PAF, Google y va tout de même sur la pointe des orteils. D’abord parce que, lancée il y a deux ans aux Etats-Unis, Google TV a commencé par être un four. Ensuite parce que bon nombre de Français ont déjà accès, via leurs offres internet, câble, satellite ou ADSL actuelles, à pas mal d’applications, telle la vidéo à la demande, un vrai succès d’ailleurs. Enfin il y a les ignorants de la télé connectée : 30 % seulement des gens qui achètent une télé connectable la connectent effectivement à Internet.

N'empêche, ça flippe dans les chaînes françaises. «Longtemps, la télévision a été une industrie locale basée sur des fréquences distribuées par l'Etat , analyse un haut ponte du secteur. Peu à peu toutes les industries se sont globalisées sauf la nôtre. Et Internet est arrivé, qui est un système ouvert avec des acteurs mondiaux.» La guerre ne se joue désormais plus entre TF1 et M6, décrit notre spécialiste : «Aujourd'hui, avec l'iTunes Store, Apple est le leader mondial de la vidéo à la demande, Amazon et Netflix sont les leaders mondiaux de la télé par abonnement, et le leader mondial de la télé gratuite, c'est Google avec YouTube.»

Sauf que Google, il lui faut autre chose que des chats qui font les cons pour attirer les annonceurs. Toutes les chaînes françaises ont ainsi été approchées afin de lancer des déclinaisons sur YouTube. A l'exception de France Télévisions, qui n'est pas tout à fait mue par la même logique commerciale que ses rivales privées, toutes ont refusé. «On considère que Google veut accaparer la publicité» , déclarait hier au colloque NPA Valéry Gerfaud, directeur général de M6 Web. Et la pub chez Google pèse déjà lourd : le chiffre d'affaires de sa régie en France est estimé à 1,2 milliard d'euros, équivalent à celui du mastodonte local, un certain TF1.

Mais ça ne fait que commencer. Après Google TV en septembre, c’est Amazon et son service de location de films en ligne LoveFilm qui pourrait débarquer en France en novembre, et Netflix, le champion du genre, devrait suivre. En attendant qu’Apple tente de mettre tout le monde d’accord en sortant son propre téléviseur.

Paru dans Libération du 28 juin 2012

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