Menu
Libération
Critique

Enfants des balles

Choc. «Johnny Mad Dog» nous immerge dans la réalité brute d’une escouade d’enfants soldats quelque part en Afrique. Un exorcisme violent et salutaire qu’a vu pour nous Allen Yero Embalo, qui a lui-même combattu dès l’âge de 13 ans.
par Allen Yéro Embalo
publié le 26 novembre 2008 à 6h51
(mis à jour le 26 novembre 2008 à 6h51)

Ils portent tous des sobriquets qui leur collent bien à la peau : No Good Advice, Small Devil, Jungle Rocket… Certains ont à peine la taille de leur kalachnikov. Arrachés à leurs parents, drogués, brutalisés, on les a transformés en machines à tuer, sans peur ni pitié. Ces garçons sont capables des crimes les plus atroces. Pendant toute la projection de Johnny Mad Dog, je me suis mis dans leur peau et je m'y suis vite retrouvé parce que j'ai partagé le même parcours, la même violence. Et je me souviens encore, comme si c'était hier.

Conditionnés. La reconstitution de la guerre au Liberia par le réalisateur Jean-Stéphane Sauvaire est tellement réaliste qu'après l'avant-première, à Paris, Christopher Minie, alias Johnny Mad Dog, a dû rassurer les spectateurs : «N'ayez pas peur de nous. C'est juste un film.»

Le mérite du cinéaste est d'avoir réussi à rassembler sur un même plateau ces enfants soldats qui ont combattu dans des factions opposées et qui ont accepté de revisiter leur passé devant une caméra.«On ne demande pas à un ex-enfant soldat s'il a tué, m'a confié Christopher. La pilule est parfois difficile à avaler. J'ai accepté de jouer dans le film parce que j'ai l'intention de tourner définitivement la page des moments sombres de mon enfance et me tourner vers l'avenir.» Mais combien d'ex-enfants soldats sont dans cet état d'esprit ? Combien ont réussi à remonter la pente ?

Johnny Mad Dog raconte, de l'intérieur, la vie d'un petit groupe de guerriers où se mêlent adolescents et gamins de 10 ans à peine, dans une guerre, qui, sans être nommée, ressemble à celle du Liberia. Le scénario est inspiré d'un roman d'Emmanuel Dongala, Johnny Chien Méchant. Le film ne les juge pas, il se contente de faire sentir la peur, celle des victimes et celle des jeunes bourreaux, qui ont été, eux aussi, victimes de violences. Ils ont été conditionnés à tuer, à cause de leur insouciance. Mais ce sont des gosses : sans le groupe, sans le chef, ils ne sont rien.

Haine ethnique. La plupart des enfants recrutés par Charles Taylor, le plus connu des seigneurs de guerre libériens, sont issus de ghettos. «Je suis issu d'une famille très pauvre de New Kru et je me souviens qu'avant mon enrôlement, je traînais aux abords des quartiers riches pour fouiller dans les poubelles. Il y avait de jolies villas entourées de jardins, raconte Christopher. Pendant la guerre, notre chef nous promettait qu'une fois la guerre finie, nous allions nous aussi habiter dans une de ces maisons. Je croyais cela. Aujourd'hui encore, je continue de vivre dans mon ghetto.» Il en rigole. Cette jalousie sociale se mélange avec la haine ethnique. Haine des Kongos, les descendants d'anciens esclaves affranchis qui ont jalousement gardé le pouvoir pendant plus d'un siècle et demi au Liberia. Haine des Dogos, la nouvelle aristocratie de Monrovia. La transformation des clivages politiques en guerres tribales ronge la cohésion sociale et le développement de nos Etats.

Banditisme. En voyant Johnny Mad Dog, j'ai revu le grand pont qui coupe Monrovia en deux : d'un côté les ambassades, les commerces, les ministères, le «quartier qui attire la haine», comme disait mon guide libérien ; de l'autre, les bidonvilles. Toutes ces images sombres me sont revenues en tête. La violence des enfants soldats n'est ni un phénomène nouveau ni l'apanage du Liberia. En Guinée-Bissau, d'où je viens, c'était déjà le cas pendant la guerre d'indépendance, dans les années 60 et 70, et après.

La fin du film pose le problème de la prise en charge de ces gamins. Qu’allez-vous faire de nous ? Où est l’argent que vous nous aviez promis ? La question est embarrassante. Comme ce fut le cas au Liberia, beaucoup d’autres enfants, enrôlés dans les conflits en RDC, au Tchad, en Somalie, la poseront aussi. Les programmes de réinsertion ne répondent pas aux nécessités d’un retour à une vie civile normale. Les donneurs sont de plus en plus avares, les ONG incapables de faire leur travail, faute de moyens.

Au Liberia, nombre d'enfants ont été abandonnés à leur sort à la fin de leur formation. Résultat : beaucoup ont versé dans le banditisme et certains sont partis monnayer leur talent en Côte d'Ivoire. Rares sont ceux, comme Dagbeh Tweh, alias No Good Advice, qui ont un but : «Maintenant je veux devenir un véritable acteur de cinéma», m'a-t-il dit, tout éberlué d'être à Paris.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique