Espagne : une législation anti-piratage durcie adoptée

par Alexandre Hervaud
publié le 18 février 2011 à 17h14

Imaginez qu'un réalisateur de films cultes, populaires et intelligents à la fois, qui plus est président d'une Académie reconnue dans sa profession, démissionne de son poste pour signaler son mécontentement vis à vis d'une loi anti-téléchargement illégal contestée par les internautes de son pays. Ne cherchez pas, l'histoire ne se passe pas en France, où l'on doute fort qu'un metteur en scène profite de la prochaine cérémonie des Césars pour contester notre bonne vieille Haute Autorité. Elle s'est par contre déroulée de l'autre côté des Pyrénées il y a peu, où la controversée loi Sinde a été votée mardi dernier par le Congrès .

Mi-janvier , notre correspondant à Madrid relatait les remous suscités par cette loi d'abord rejetée en commission parlementaire par une courte majorité de députés le 22 décembre dernier. Le texte prévoyait l'interdiction de télécharger des contenus culturels sur Internet, ainsi que la mise en place d'une «commission de la propriété intellectuelle» ayant, après le feu vert d'un juge, le pouvoir de bloquer tout site internet dépourvu d'autorisation. Malgré ce premier revers, le Sénat a pu faire passer la loi grâce à un consensus entre le gouvernement et l'opposition. Il faut dire qu'en Espagne, le téléchargement illégal est quasi généralisé , l'industrie culturelle décrivant régulièrement le pays comme «un paradis du piratage» . Le tout avec des conséquences plutôt catastrophiques pour la santé culturelle du pays : comme on l'évoquait dans le dernier podcast , aucun nouvel artiste espagnol n'a atteint le top 50 des meilleures ventes d'albums en 2010.

Alex de la Iglesia, réalisateurs de films fantastiques fous et énervés dans sa jeunesse ( Action Mutante, Le Jour de la Bête ) et de comédies noires ( Le Crime Farpait, Mes Chers Voisins ), a ainsi annoncé fin janvier qu'il quitterait son poste de président de l'Académie du Cinéma, organisation espagnole dont il avait pris la tête il y a deux ans. Une démission effective depuis le lendemain de la cérémonie des Goyas (l'équivalent espagnol des Césars), qui s'est tenu dimanche dernier . A cette occasion, Alex de la Iglesia a prononcé un discours signalé par un lecteur d'Ecrans qui a eu la bonne idée de le sous-titrer :

«Internet n'est pas le futur, contrairement à ce que certains pensent. Internet, c'est le présent» , a notamment déclaré Alex de la Iglesia, parti bredouille de la Cérémonie. Son dernier film, Balada triste de trompeta , était nommé dans plusieurs catégories. Ses positions auraient-elles influé le vote de ses pairs ? L'an dernier, le long métrage avait valu à de la Iglesia le Lion d'argent du meilleur réalisateur à la 67e Mostra de Venise. En décembre déjà, de la Iglesia, toujours prêt à dialoguer avec le public via son Twitter , avait organisé une table ronde entre créateurs et internautes . Sur Twitter, d'ailleurs, le hashtag #nolesvote, appelant à ne voter pour aucun candidat de parti ayant appuyé la loi, a été prisé par les opposants à la loi. Une association d'internautes entend même saisir le Tribunal Constitutionnel pour protester contre la loi.

Demain, à Madrid, une manifestation organisé notamment par le Parti Pirate local aura lieu à midi devant les locaux du Ministère de la Culture, à Madrid. Signalons au passage qu'Alex de la Iglesia est a priori attendu en France pour le prochain Festival du Cinéma Espagnol de Nantes, en mars. Il devrait y présenter, lors d'une Nuit Fantastique organisée par l'Absurde Séance, son Balada triste... près de trois mois avant sa sortie française.

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