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Libération

Est-ce qu’une loi suffira contre les sites «pro-ana»?

par Eric Favereau
publié le 16 avril 2008 à 12h45

Etait-ce bien utile que de faire voter, hier matin, devant une petite vingtaine de députés en séance, une proposition de loi réprimant l'incitation à l'anorexie ? «Grotesque et ridicule» , tranche Jean-Marie Le Guen, député socialiste. «On voit, là, les limites à mettre en place des dispositifs législatifs pour des questions de santé.» A l'inverse, la ministre de la Santé Roselyne Bachelot s'est félicitée de ce vote : «La proposition de loi apporte une réponse adaptée et cela constitue une avancée importante dans la lutte contre l'anorexie.» Le texte a été adopté malgré l'abstention des socialistes, des Verts et des communistes.

Cette proposition de loi, qui doit encore passer au Sénat, a pour objet de créer «une incrimination spécifique de la provocation à l'anorexie» . Ainsi, «le fait de provoquer une personne à rechercher une maigreur excessive, en encourageant des restrictions alimentaires prolongées ayant pour effet de l'exposer à un danger de mort ou de compromettre directement sa santé, sera puni d'une peine maximum de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende» . Pour lutter contre les sites «pro-ana» sur Internet (lire ici ), il est stipulé qu'est punie de deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende «la propagande ou la publicité, en faveur de produits, d'objets ou de méthodes préconisés comme moyens de parvenir à une maigreur excessive ayant pour effet de compromettre directement la santé» . Selon la rapporteure UMP, Valérie Boyer, il y a entre 30 000 et 40 000 personnes qui seraient atteintes d'anorexie en France. L'air de rien, c'est la première fois que le législateur condamne l'incitation à une maladie, qui plus est une pathologie mentale. Sur ce sujet, Roselyne Bachelot n'a pas eu d'états d'âme : «Donner les conseils aux jeunes filles pour mentir à leurs médecins, leur indiquer les aliments les plus faciles à régurgiter, les inciter à se mortifier après toute absorption de nourriture, ne relève pas de la liberté d'expression… Notre pays doit avoir les moyens de poursuivre et de condamner ceux qui se cachent derrière de tels sites» ,a-t-elle affirmé. «Certes, a ironisé pour les socialistes Jean-Marie Le Guen, on ne peut pas être d'accord avec l'anorexie. Mais est-ce à la loi de réagir ?»

«Bizarrement, cela ne me paraît pas complètement à côté» , tempère le Dr Jean-Pierre Benoît, psychiatre et spécialiste à la Maison des adolescents à Paris de la prise en charge des anorexiques. «Avec ces jeunes filles, il y a toujours besoin qu'une limite assez forte leur soit opposée. Elles dérapent, parfois très vite. Au moins, cela va mettre des bornes même si elles sont indirectes. Je vois trop de situations où on laisse dériver les choses.» Mais l'influence de ces sites est-elle réelle ? «J'ai des patientes qui les fréquentent, en particulier les plus malades. J'ajouterai que pour les mannequins aussi, c'est important de signifier socialement ces limites, même si c'est délicat.»

Un équilibre fragile à tenir donc, même pour la rapporteure du projet qui avait en effet déposé quatre amendements. Elle les a finalement retirés en séance, tant leur formulation pouvait prêter à un dérapage. Ainsi avait-elle proposé d'interdire «les photographies à des fins commerciales d'une personne dont l'apparence corporelle a été modifiée par un logiciel, si elles n'ont pas été accompagnées de la mention "photographie retouchée"» . Elle souhaitait aussi que «chaque mannequin bénéficie d'un examen médical par période de six mois en vue de s'assurer du maintien de son aptitude à exercer l'emploi considéré, compte tenu notamment de son indice de masse corporelle» .

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