Et Hadopi, vous en pensez Coué ?

par Alexandre Hervaud
publié le 20 mai 2011 à 9h53
(mis à jour le 20 mai 2011 à 17h37)

La semaine dernière, l'Hadopi profitait du passage éclair de Frédéric Mitterrand dans ses locaux pour s'offrir un coup de projecteur (voire d'extincteur) peu de temps après les propos de Nicolas Sarkozy à son encontre. La conférence de presse s'était achevée par la remise d'un résumé de la nouvelle étude de la Haute Autorité relative aux «pratiques et perceptions des internautes français» face aux «biens culturels et usages d'internet» , désormais disponible en intégralité (pdf).

La première étude (T0) avait été réalisée avant l'envoi des premiers avertissements de l'Hadopi, entre le 25 octobre et 4 novembre

2010. Ce deuxième volet a quant à lui été effectué du 23 mars au 1er avril 2011, auprès de 1500 internautes âgés de 15 ans et plus. On laissera au lecteur le soin de lire en détail la méthodologie expliquée dans l'étude, mais on rappellera au passage qu'elle a à nouveau été menée par la société Toluna via un questionnaire en ligne.

Principal chiffre mis en avant la semaine dernière et encore aujourd'hui dans la version complète : un internaute sur deux considère que la «mise en place de l'Hadopi une bonne initiative» . D'aucuns observateurs ayant pris part à l'étude y voient la confirmation que «la protection du droit d'auteur gravée au fronton n'est point impopulaire» , se risquant à une formulation chiraquienne en diable selon laquelle «sa mauvaise réputation fait pschiittt !» . Une analyse qui aurait un minimum de crédibilité si l'on n'était pas face à un cas de 50-50 réactivant l'éternel débat «verre à moitié vide ou à moitié plein», sachant qu'une lecture totalement inversée pourrait sans problème être énoncée : la moitié des internautes interrogés ne considère pas l'Hadopi comme une bonne initiative. Et quoi qu'en disent la Haute Autorité et ses soutiens, c'est un nombre de «déçus/mécontents/dubitatifs» tout sauf négligeable, et l'on est loin de l'adhésion massive revendiquée.

Il serait par contre de mauvaise foi de nier l'amélioration de «l'impact» de l'Hadopi depuis la parution de la première étude. L'évolution entre les deux vagues est significative : 41% des internautes (contre 25% pour la T0) déclarent que l'Hadopi les incite «à changer leurs habitudes de consommation» . La proportion des internautes «sans opinion» s'est réduite (11% contre 23% en T0), mais il faut noter que 48% des internautes connaissant l'Hadopi interrogés n'ont pas l'intention de changer leurs habitudes à cause de la Haute Autorité. L'étude montre à nouveau que pirater n'est pas synonyme de consommation illicite systématique : parmi les 31% d'internautes "pirates", 84% déclarent également utiliser des moyens légaux. Seuls 16% d'irréductibles ne jurent que par l'illégal.

On s'était promis de jouer au jeu des différences entre la T0 et la T1, et sauf erreur de notre part, un changement est visible dans la partie intitulée «incitation de l'Hadopi à consommer des oeuvres culturelles sur

des sites respectueux du droit d'auteur» visible ci-dessus. La question posée aux internautes est la suivante : «l'Hadopi vous incite-t-elle à consommer plus régulièrement des œuvres culturelles sur des sites respectueux du droit d'auteur ?» . Pour y répondre, trois choix sont proposés : «oui», «non», «ne se prononce pas». Histoire de montrer l'évolution des comportements entre l'ère pré-riposte graduée et maintenant, l'étude compare les résultats obtenus en T0 à ceux de la récente T1. Problème : une partie des chiffres de la première étude utilisés ne semblent pas être les bons ! Ainsi, un 39% de «non» se transforme en 45%. Résultat de ce gonflage : le nombre d'internautes non influencés par l'Hadopi semble avoir nettement diminué, passant de 45% à 37%. Mais si l'on s'en réfère aux bons chiffres de la première étude , la baisse est clairement moins impressionnante puisqu'on passe de 39% à 37%, soit 2% seulement de grincheux en moins...

[MAJ] Contacté par Ecrans.fr, le spécialiste en sondage Guillaume Main, qui a supervisé l'étude, explique la différence constatée, permettant dès lors d'affirmer qu'il n'y a pas eu d'erreur manifeste : «la question posée sur T1 avec la base «connaît l'Hadopi» n'est pas comparable à cette même question posée sur T0 sans la base «connaît l'Hadopi». Il faut effectivement que les deux bases soient identiques pour permettre la comparaison.» Il ajoute : «pour autant, les données publiées dans le rapport T1 sont bien les bonnes : les données T1 sont bien celles avec la base «connaît l'Hadopi», les données T0 sont bien celles avec cette même base «connaît l'Hadopi», les données T0 telles qu'elles sont évoquées dans le rapport T1 sur cette question n'apparaissaient pas dans le rapport T0» .Et d'expliquer avoir estimé «a posteriori, au moment de l'élaboration de T1, qu'il était encore plus pertinent de poser cette question aux internautes connaissant l'Hadopi» . [/MAJ]

Quitte à rester dans le chipotage, il convient de noter que beaucoup de données sont accompagnées de petites notes de bas de page à ne pas rater, du genre : «compte tenu de l'effectif ce résultat exprime seulement une tendance» et autre «résultats regroupés en sous totaux car base trop faible pour en tirer une observation / analyse» . Numerama avait par exemple noté le caractère un peu trompeur ou maladroit de certaines questions lors de la parution des premiers résultats la semaine dernière (et récidive en pointant un drôle de résultat de l'étude décidément pas irréprochable : 43% des internautes téléchargent des logiciels...en streaming).

Au delà de ces imprécisions ou maladresses, le choix des questions est parfois discutable. En janvier dernier , on avait reconnu à la Haute Autorité une certaine ouverture d'esprit bienvenue, écrivant : «faisant preuve d'une honnêteté remarquable, l'étude commandée par l'Hadopi se penche également sur les perceptions négatives de l'activité de la Haute autorité, sans faire l'impasse sur les critiques qui fâchent» . Etait ainsi proposé aux sondés de s'exprimer sur des aspects peu flatteurs comme «l'Hadopi ne sert que les intérêts particuliers de certains» (51% d'internautes d'accord), ou «n'est pas en phase avec la culture du web» (57% d'accord). De telles saillies d'auto-flagellation n'étant plus les bienvenues, la question est passée à la trappe pour cette nouvelle étude, tout comme celles concernant les moyens de sécurisation adoptés par les internautes. Sans doute parce qu'elles «n'apportaient pas vraiment d'information complémentaire à l'analyse» comme se justifie l'étude dans son introduction pour expliquer divers changements d'intitulés...

Puisqu'on mentionne ici les fameux moyens de sécurisation, on en profite pour signaler la mise en ligne de l’avis de la CNIL du 20 janvier 2011 sur l'Hadopi, suite à la saisie du ministère de la Culture et de la Commission datant du 22 novembre 2010. La commission a longtemps souhaité garder secret ce document publié hier par

, -- dont on évitera par contre l'interprétation au profit de celle de

, moins indulgente. Dans le document en question, on peut ainsi lire ces mots d'Alex Türk (

ci-contre, notre photo

), président de la Commission :

«la CNIL regrette que les moyens de sécurisation labellisés par la Hadopi (…) ne soient pas encore à la disposition des internautes, et cela encore pour plusieurs mois. Dans la mesure où l'utilisation de tels moyens peut constituer un élément essentiel pour la défense des internautes, notamment en cas d'engagement des poursuites, la Commission estime que ces moyens devraient être rendus disponibles dans les plus brefs délais.»

Pour en revenir à l'étude qui nous intéresse aujourd'hui, concluons en signalant la mise à disposition sur le site de l'Hadopi d'une version anglaise de l'étude, ou plutôt de sa synthèse (par définition réductrice) parue la semaine dernière. On connait déjà l'identité d'au moins un des destinataires de cette english version grâce au site The Register , qui relatait hier la position de Ivan Lewis sur la lutte anti-piratage. Lewis, politicien charge des questions liées à la Culture pour le Labour, actuellement parti d'opposition outre-Manche, a ainsi eu accès à la version raccourcie de l'étude dont il cite quelques chiffres. S'exprimant devant un parterre convaincu, à savoir la Alliance Against IP Theft (alliance contre le vol de propriété intellectuelle), Lewis a déclaré : «pour beaucoup, quel que soit le cadre de régulation mis en place dans ce domaine, c'est prendre une petite cuillère pour vider la mer. Mais l'Hadopi prouve que les lois influencent vraiment les gens, pas seulement via un aspect punitif, mais en les faisant penser différemment» .

Tout l'argumentaire asséné par la Haute Autorité depuis des mois résumé en une phrase, wonderful ! Seul problème : si le nom de la Haute Autorité a effectivement fait le tour des médias internationaux cette semaine, ce n'est -- du moins pour l'instant -- aucunement grâce à sa dernière fournée de chiffres, mais à cause de l'épique faille ( should we say epic fail ? ) de la société TMG chargée de collecter les adresses IP d'internautes friands de peer-to-peer. Des Etats-Unis à l'Espagne en passant par la BBC, la bévue a été fortement commentée. Gageons que le forum e-G8 de la semaine prochaine donnera bien l'occasion à la Hadopi de redorer son blason auprès de la presse mondiale.

Lire l'étude :

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