Etudes chair payées

par Charlotte Rotman
publié le 18 janvier 2010 à 18h16

D’abord une perruque blonde. De longs cheveux de nylon trop brillants pour être naturels qui servent à se dissimuler, comme sur les plateaux télé de Jean-Luc Delarue. On n’aperçoit pas encore de visage. Une fille, que l’on devine jolie derrière d’immenses lunettes noires, vérifie son image dans un petit miroir. On comprend qu’elle se prépare à témoigner, face caméra.

Cette mise en place encadre la narration. Elle ancre intelligemment la fiction dans la réalité. De toute façon, le téléspectateur est prévenu dès les premières secondes : ce film est «inspiré d'une histoire vraie ». Celle de Laura, 18 ans, une étudiante devenue prostituée occasionnelle. «Je m 'attendais à voir une Lolita, un peu provocante et sexy , se souvient Emmanuelle Bercot, scénariste et réalisatrice (de Backstage , notamment, avec Isild le Besco en fan d'une simili Mylène Farmer), et quand j'ai vu Laura, je me suis dit : "Je n'arrive pas à imaginer que cette fille se soit retrouvée dans une chambre avec un client." En fait, c'était exactement ça, le sujet du film : une fille dont personne ne peut penser que cela lui arrive de se prostituer.»

Laura, on l'avait rencontrée il y a deux ans, chez son éditeur, Max Milo, au moment de la sortie de son livre Mes Chères Etudes ( Libération du 16 janvier 2008). Un petit minois. Le genre de fille souriante et mignonne, en queue-de-cheval et jean moulant, qui peuple les amphis bondés des facs. À l'écran, l'actrice Déborah François, césar du meilleur espoir en 2009 (pour le Premier Jour du reste de ta vie , de Rémi Bezançon), campe Laura. D'une certaine manière, elle est plus crédible que la vraie. A la fois plus nonchalante et moins espiègle. «C'est une fille de l'eau» , selon Luc Dardenne, qui l'avait dirigée dans l'Enfant , quand Laura, la vraie, semblait agitée et volcanique.

Une ville de province. Ce pourrait être n'importe où. Laura y suit un cursus en langues étrangères. Sur les bancs de l'université, rien ne la distingue des autres. Mais elle a le ventre vide au point de s'évanouir en plein cours magistral. Comme beaucoup, elle a un petit job d'étudiant, mais le télémarketing ne lui rapporte pas assez. Elle préfère ne pas solliciter ses parents, maçon et infirmière. Elle s'adresse au Crous qui la renvoie aux Restos du Cœur. Elle ne bénéficie pas d'aide, mais n'en demande pas non plus. Son petit ami d'alors lui donne du «bébé» mais exige qu'ils partagent tous les frais et fassent placards séparés, chacun ses provisions. Les factures s'accumulent. Elles apparaissent très concrètement à l'écran qui devient un mur d'additions et de dettes. Voilà pourquoi, une nuit, Laura se met à naviguer d'une petite annonce à l'autre et accepte un rendez-vous avec «un jeune homme de 50 ans» qui cherche «des moments de tendresse à partager» . Les étudiantes sont les «bienvenues» . C'est 100 euros de l'heure. Il a suffi de quelques clics. Elle se retrouve dans la chambre d'hôtel au papier peint vert à fleurs et à la moquette bleue foncée, en face de la gare. La lumière, très belle, adoucit le décor. «On ne voulait pas enjoliver, ni être dans un réalisme sordide» , explique Emmanuelle Bercot. Le client s'appelle Joe, un moustachu bedonnant à la voix douce qui bande dans son pantalon quand elle se déshabille en silence. Elle se cache les seins et le pubis. Il s'exclame «Waouh !» Et ajoute : «C'est pour ça que je n'aime pas les professionnelles.» Il la trouve «innocente» et il aime ça. Il la touche à peine et lui donne plus que prévu, 300 euros: «Je suis vraiment content.» Elle paye des bières à ses copains, les prix s'affichent à l'écran comme si la vie n'était qu'une succession de soustractions.

Tout en continuant ses études, Laura se tape plusieurs clients, du mari bourru et frustré, moche, au quinquagénaire sophistiqué qui la reluque en soubrette et lui propose de la loger «gratuitement» dans son immense appartement contre quelques «plaisirs» de temps en temps. Elle revoit plusieurs fois Joe, toujours dans le même hôtel. La caméra d'Emmanuelle Bercot se fait intime tout en se tenant à distance. Elle filme la chair. A aucun moment elle ne s'y vautre. Mais elle n'édulcore rien non plus. La réalisatrice tient un équilibre fragile : il n'y a, dans son film, ni dénonciation morale ni glorification. Ni complaisance ni jugement. Les faits sont nus, autant que la jeune fille. «Je ne voulais pas la faire passer pour une victime , dit-elle encore, je ne pense pas que la prostitution étudiante soit une fatalité.» Ces interrogations sont relayées par Mathieu Demy, qui interprète un trentenaire habitué des bars, à qui Laura confesse ses activités. Amoureux d'elle, il lui balance : «Et les autres, comment elles font, les autres ? Comment elles s'en sortent ? Elles ne sont pas toutes à sucer des bites.»

A la fin du film, on retrouve les images du début et la perruque blonde. Une voix off de commentateur parle de précarité, évoque la prostitution étudiante comme un phénomène de société. Car, dans la France d’aujourd’hui, Laura n’est pas la seule à monnayer son corps pour payer ses études.

Paru dans Libération du 18 janvier 2010

Mes chères études

_ d’Emmanuelle Bercot

_ avec Déborah François, Mathieu Demy, Alain Cauchi.

_ Canal +, ce soir, 20 h 45.

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus