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Libération

Eurovision : c'est dinde !

Télé. Sur France 3 ce samedi, c'est concours de la chanson, sinon rien.
par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 24 mai 2008 à 3h35
(mis à jour le 24 mai 2008 à 3h35)

Nous avons une dinde sur le coeur. Dustin, elle s'appelait, et mardi soir en Serbie, les snipers de l'élégance et du bon goût l'ont abattue : Dustin la dinde, candidate officielle de l'Irlande, a été éliminée en demi-finale de l'Eurovision. Elle était jolie, Dustin, avec son gros bec écarlate, son toupet blanc et son blouson à capuche. Mais non, son joli filet de voix nasillard, ses couplets égrenant chacun des pays de l'Eurovision et son doux refrain ponctué de lourds beats techno («Irelande, douze pointe», en français ou presque, s'il vous plaît) n'ont pas rassemblé assez de suffrages. Trop en avance, certainement, ou alors Dustin a-t-elle été disqualifiée par le règlement qui, en l'article 3 de la section IV, interdit les animaux (eh les gars, en fait, c'était pas une vraie dinde, mais une marionnette). Et c'est un nouveau scandale qui entache encore l'édition 2008 de l'Eurovision, déjà lourdement pourvue de ce côté-là. Candidats fantaisistes, chansons controversées, l'Eurovision sent le gaz ! Ce sera ce samedi soir à partir de 21 heures sur France 3 et il est évidemment impensable de rater ça : lalala, boum, bang-a-bang, ding-a-dong.

Scandale : ils ont remixé le «Te Deum» !

Attention, âmes sensibles, les propos qui suivent, tirés d'une dépêche AFP, sont très violents : l'Eurovision, nous dit l'agence, est «un show taxé parfois de mauvais goût». Wow, ils ont raison à l'UMP, l'AFP va vraiment trop loin. Mais enfin, chère AFP, l'Eurovision a inventé le mauvais goût : en 1956, la première édition - remportée à Locarno par Lys Assia et sa chanson Refrain - était déjà ringarde ; en 1974, Abba et son Waterloo itou, en 1977, Marie Myriam en robe orange Casimir, hein, c'était du mou de veau ? Forcément nunuche, l'Eurovision et ses doux accents de «aimons-nous tous, youkaïdi, youkaïda, de l'Atlantique à l'Oural, oui, même les Serbes», a depuis des lustres son ennemi de l'intérieur : le candidat qui moque le concours. En 1977, le groupe autrichien Schmetterlinge (les papillons) raille les ding-a-ding classiques des hits de l'Eurovision avec une chanson intitulée Boom, Boom, Boomerang. C'est fin. Et la sédition se poursuit d'année en année, atteignant son paroxysme en 2006 avec les hard rockeurs finlandais Lordi, dont les décibels et l'accoutrement ont failli faire passer de vie à trépas Michel Drucker qui commentait cette année-là. Vous nous direz, tant qu'il y a le Te Deum de Marc-Antoine Charpentier en préliminaire de cette soirée chamarrée, tout va bien. Sauf que cette année, après l'interprétation classique - trompette et force cors de chasse -, les Serbes ont osé, en guise de générique, remixer le Te Deum sauce techno de Belgrade. Sacrilège et tremblement.

Scandale : il n'y a que des freaks !

Dustin, notre regretté dindonneau, peut s'en retourner le coeur tranquille dans ses vertes contrées : cette année, la sédition est devenue la norme de l'Eurovision et les freaks sont légion. Rodolfo Chikilicuatre, d'abord, son look de rockeur à banane ringard et sa chanson débile. Le comique espagnol a voulu faire le malin en se présentant au concours national pour choisir un candidat à l'Eurovision, et bing, à Belgrade! Au rayon très bien achalandé des psychopathes de l'Eurovision, on peut encore compter sur la Finlande qui cultive la veine fuck metal de Lordi avec le groupe Teräsbetoni (béton armé). On attend aussi beaucoup de l'Azerbaïdjan qui, pour sa première participation, a choisi deux mignons, l'un déguisé en ange chantant d'une voix de castrat, l'autre en démon à la voix rauque. On goûtera également les Bulgares de Deep Zone & Balthazar et son DJ aux platines qui s'enflamment, ainsi que les lettons Pirates of the Sea déguisés justement en pirates. Sans oublier la Géorgie dont la chanteuse Diana Gurtskaya se fait à ce point provocante qu'elle n'ôte pas ses lunettes noires de toute sa chanson. Ah, elle est aveugle ? Bon d'accord.

Scandale : la chanson française pas française !

Mais celui que Dustin soutient depuis qu'il s'est fait plumer, c'est évidemment notre freak hexagonal, Sébastien Tellier. Qui de toute façon n'avait pas de mouron à se faire, puisque la France est automatiquement sélectionnée en tant que membre des Big Four (les quatre plus gros contributeurs à l'organisation de l'Eurovision, 247 000 euros par an). Mais pourquoi France 3 s'est-elle donc entichée de cette icône branchouille de Tellier, pas Eurovision pour un sou ? «On a voulu rompre avec la tendance remake de Céline Dion, explique le directeur des programmes de la Trois, Vincent Mesler, et la génération de Sébastien Tellier a regardé l'Eurovision de manière décalée.» D'ailleurs, avant l'hirsute Tellier, France 3 a longuement négocié avec Philippe Katerine. Oui mais voilà, Hugo, Molière et Florent Pagny font la toupie : Tellier chante en anglais. Offense, outrage, indignité nationale et piaulements de députés UMP désoeuvrés. Certains en ont même appelé à la ministre de la Culture pour qu'elle revoie le cahier des charges de France 3. Du coup, après avoir échappé de peu au bûcher, Tellier devrait, ce samedi en direct, se livrer à un happening : «Une phrase en français et une petite mise en scène mais c'est une surprise», aguiche Vincent Meslet. On a bien une idée : qu'au milieu de sa chanson Divine (prononcer donc «divaïne»), Tellier sorte de sa barbe Dustin vêtu pour l'occasion de bleu-blanc-rouge. Ça nous ferait très plaisir.

Scandale : Gaultier et Lepers ensemble !

Ils sont balèzes, à France 3, au niveau de la mise en abyme : un chanteur des plus trendy au concours le plus ringard et Jean Paul Gaultier aux commentaires avec Julien Lepers. Voyez l'idée ? Tellier/Eurovision, Gaultier/Lepers, la haute couture contre la moche cravate. «On joue sur le contraste entre Jean Paul Gaultier et Julien Lepers, indique Vincent Meslet. A l'Eurovision, le commentaire est très important, c'est notre seul moyen d'imprimer notre marque.» Au passage, Gaultier en profitera pour habiller les présentateurs serbes de la soirée. Le couturier est d'ailleurs un habitué de l'Eurovision : le transexuel israélien Dana International, vainqueur en 1998, était sapé Gaultier, de même que, l'an dernier, les Fatals Picards. Quant à Julien Lepers, il sera habillé en Julien Lepers.

Scandale : c'est toujours le scandale !

Douchons tout de suite les espoirs d'une victoire française à l'Eurovision : no way. A moins que Nicolas Sarkozy marche dans les pas de Franco, soupçonné d'avoir en 1968 fait gagner l'Espagne à coups de pesetas, Sébastien Tellier ne récoltera pas assez de «twelve points». Mathématiquement et géopolitiquement impossible. Jusqu'au milieu des années 1990, la solidarité jouait entre pays scandinaves (qui devrait connaître un revival cette année avec le chanteur danois, très en vue avec son variétoche pouet-pouet All Night Long). Depuis, rien à faire, c'est un pays de l'ex-bloc soviétique qui remporte l'Eurovision. Cette année, ce pourrait être la Russie, le candidat Dima Bilan et son déchirant Believe étant en tête chez les bookmakers. Que voulez-vous, c'est ainsi : la Lettonie vote pour la Lituanie, la Lituanie pour la Lettonie, la Géorgie vote pour la Russie et ainsi de suite. C'était bien la peine de déboulonner Lénine pour en arriver là.

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