Exit explore la «Paranoïa»

par Marie Lechner
publié le 14 mars 2011 à 15h20
(mis à jour le 14 mars 2011 à 18h22)

Paranoïa, Maison des arts de Créteil (94). Jusqu’au 20 mars, puis à Via Maubeuge (du 24 mars au 3 avril) et à Lille (du 13 avril au 14 août)

Vivons-nous un nouvel âge d'or de la paranoïa ? Le festival d'art numérique Exit , d'ordinaire plus insouciant, présente à la Maison des arts de Créteil vingt-cinq œuvres questionnant notre monde au bord de la crise de nerfs, où tout s'accélère, la science, les technologies, la vitesse de l'information et le cours de l'histoire, créant un sentiment diffus d'insécurité. L'exposition «Paranoïa» est un grand fourre-tout qui recense les peurs actuelles : paysages postapocalyptiques, manipulations génétiques, cyborgisation du vivant, virtualisation des conflits et surveillance généralisée.

Loin de céder à la panique, les artistes détournent ces yeux intrusifs dans des dispositifs souvent drôles ou poétiques. Dès l'entrée, le visiteur est scruté par une caméra et son faciès, sondé par un logiciel d'analyse biométrique, est associé à celui d'un des 250 portraits stockés dans la base de données. En guise de criminels, des personnalités ayant forgé notre culture contemporaine, dont le point commun est le non-conformisme : de Pasolini à Assange, de Steve O à Gainsbourg. Le genre de profil qu'une machine aurait vite fait de classer déviant. «L'époque est schizo , dit son auteur, le Néerlandais Marnix de Nijs , les gouvernements contrôlent de plus en plus le réseau, chacun s'exhibe sur Facebook. Toutes ces informations personnelles (santé, transactions, navigation…), seront un jour interconnectées. Des algorithmes seront capables de traquer les anormalités, de repérer ceux qui n'auront pas le comportement qui sied dans une société de contrôle.»

Un sujet abordé dès 2001 dans le jeu de vidéosurveillance narquois de Martin Le Chevallier Vigilance 1.0 , qui incite à dénoncer les citoyens indélicats. Le rideau motorisé de Niklas Roy met en lumière de manière humoristique les contradictions liée à la vie privée. Coulissant le long d'une baie vitrée, le voile s'interpose systématiquement entre le passant qu'il suit pour protéger l'intimité de l'habitant, mais produit l'effet inverse, en attirant l'attention.

Le chaos du monde extérieur se déverse en flux continu dans l'antre tortueux de la Maison des arts. Le triptyque vidéo de Ryoichi Kurokawa , en collaboration avec le reporter Daniel Demoustier, distord l'imagerie de guerre sensationnaliste en se concentrant sur les paysages dévastés. Au bar, un panneau lumineux déroule sans fin les actualités puisées dans les fils RSS des quotidiens, mais conjuguées au futur : «L'épidémie de grippe va s'arrêter - Japon : un violent séisme va provoquer un tsunami majeur…» «Avec Time Slip, j'ai voulu créer une sorte de flou temporel, annihiler la puissance du futur et créer une zone de paix , dit Antoine Schmitt. On stresse moins quand on sait que l'avenir est déjà écrit…» Le monde paranoïaque de K. Dick ou les dystopies cyberpunks des années 80 irriguent un certain nombre d'œuvres, comme Nixie Mixie Matrix , système de communication fait d'un enchevêtrement de néons qui s'illuminent pour afficher des suites de lettres, réponses aux messages des visiteurs envoyés via SMS ou Twitter. La machine les génère automatiquement à partir de requêtes sur les moteurs de recherche, l'oracle Google ayant réponse à tout.

Plus on s'enfonce dans le parcours, plus il prend un tour cosmique, avec le dodécaèdre rayonnant et bourdonnant de Felix Luque Sanchez, entité technologique mystérieuse alien qui réagit à la présence du public, ou ce monolithe bruissant calqué sur celui de 2001, l'Odyssée de l'espace de Grégory Chatonsky , ou encore cette onirique reconstitution d'une supernova, enfermée dans une boîte telle une miniature, qui permet de voir, sur une échelle de dix minutes, un phénomène rare qui dure 100 000 ans, entre l'explosion et l'agonie de l'étoile.

Mais c'est une plante anodine, pas même sous cloche, qui synthétise à elle seule les vertiges du futur. A l'œil nu, rien ne permet de déceler l'originalité du pétunia d' Eduardo Kac , qui cache son artificialité. Pourtant dans les nervures rouges de la fleur s'exprime l'ADN du sang de l'artiste. Avec ce «plantimal» transgénique qu'il a mis six ans à développer, Kac veut sensibiliser à la contiguïté entre les espèces, «créer un espace de rencontre le plus intime possible entre deux êtres. Cette pureté, cette soi-disant séparation entre les êtres vivants est illusoire» . D'après le bioartiste brésilien, également exposé en ce moment au Centre des arts d'Enghien-les-Bains, «pour la nouvelle génération, manipuler les gènes sera aussi commun que de jongler avec les bits d'information.»

Paru dans Libération du 12/03/2011

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