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Libération

Filtrage du p2p : La neutralité du net gagne un round aux Etats-Unis

par Astrid GIRARDEAU
publié le 5 août 2008 à 18h27
(mis à jour le 5 août 2008 à 23h05)

«Accepteriez-vous que la Poste ouvre votre courrier, décide de ne pas s'embêter à le livrer, et cache sa décision en le renvoyant avec une mention "adresse inconnue renvoi à l'expéditeur" sur l'enveloppe? Malheureusement, c'est exactement ce que Comcast a fait à ses clients Internet.» Par cette métaphore, Kevin Martin, le président de la Commission Fédérale des Communications (FCC), a annoncé le vote de la FCC contre le câblo-opérateur. Le 1er août dernier, trois des cinq commissaires, les démocrates Michael Copps et Jonathan Adelstein, et le républicain Kevin Martin ont en effet accusé Comcast d'avoir bloqué l'accès de certains de ses abonnés aux réseaux p2p. Cette décision «est un message au secteur, pour qu'ils comprennent que les mauvais acteurs seront punis» , a indiqué Martin.

L'histoire remonte à fin 2007. Comcast est alors accusé de filtrer les échanges de fichiers utilisant le protocole BitTorrent, bloquant par là non seulement les échanges p2p, mais aussi des services de VoD ou Vuze. L'opérateur nie. Sous la pression des utilisateurs, l'autorité américaine de régulation des télécoms ouvre une enquête et une class action est déposée contre le fournisseur d'accès. Comcast explique alors qu'il cherchait seulement à gérer la bande passante de son trafic afin d'éviter qu'il soit saturé en période de pointe. Et estime que sa gestion du réseau est «raisonnable» , reprenant le terme de la loi fédérale, décrite dans l' Internet Policy Statement (PDF) .

L'explication n'a pas été retenue par les commissaires. La FCC estime que Comcast a violé la loi en bloquant de façon arbitraire, «sans lien avec les périodes de congestion ni la taille des fichiers» les contenus utilisant le protocole BitTorrent, et en essayant de le cacher à ses clients. Aussi «la Commission a conclu que les pratiques de gestion de Comcast discriminent certaines applications au lieu de les traiter de façon égale, ce qui est incompatible avec le concept d' un Internet ouvert et accessible » . Elle n'a pas condamné Comcast à payer une amende. Elle lui a simplement demandé de cesser tout filtrage de sa bande passante d'ici la fin de l'année. Comcast est également tenu à davantage de transparence. L'opérateur doit fournir, dans les 30 jours, le détail des pratiques de gestion incriminées et un plan d'action pour les éliminer. Il devra informer ses clients et la Commission de ses nouvelles pratiques de gestion de réseaux.

«Notre décision ne cherche pas à réguler Internet , a indiqué Martin, anticipant les critiques. On ne dit pas aux opérateurs comment gérer leurs réseaux. On ne les empêche pas de gérer les périodes de congestion.» . Il y a quelques mois, David L. Cohen, le vice-président de Comcast, déclarait en effet, que la FCC n'avait pas à intervenir dans ses affaires. Suite à l'annonce du vote, la réaction a été plus modérée. Sena Fitzmaurice, directrice de la communication chez Comcast, s'est dit «déçue» par la conclusion de la Commission et a rappelé que leur gestion du réseau est «raisonnable» . Elle a dit étudier toutes les options légales, mais les analystes s'attendent à ce que Comcast fasse appel.

Étonnamment, dans l'ensemble, les représentants des autres opérateurs américains ont salué la décision de la FCC. En fait, la plupart, tels Verizon et AT&T;, estiment qu'elle n'a pas à intervenir dans leurs pratiques, mais préfèrent ça à une législation du Congrès qui renforcerait les principes de neutralité du net. Ce que souhaitent ses plus fervents partisans. Les accusations les plus vives sont venues de Kyle McSlarrow, président de la National Cable & Telecommunications Association. Ce dernier a dénoncé l'intervention du gouvernement dans la gestion des «problèmes techniques liés à Internet» , et reproché à la FCC d'avoir agi «dans l'intérêt des plus gros mangeurs de bande passante au détriment de tous les autres» .

Du côté des défenseurs des principes de la neutralité du net , la victoire est réservée. «C'est un pas de géant, mais pas suffisant pour assurer la protection des internautes» , estime Gigi Sohn, le président de Public Knowledge . Selon lui , la décision a deux grosses limites : c'est un jugement au cas par cas qui ne s'applique qu'à Comcast, et qui ne concerne que les techniques de bridage du p2p utilisées par l'opérateur. «Il s'agit seulement du début, et non de la fin, du combat» , a indiqué pour sa part Fred von Lohmann de l'EEF. Même son de cloche chez Josh Silver de Free Press : «la bataille est loin d'être terminée» . Il estime que le marché des télécoms «ne va pas s'auto-discipliner» et que leur travail avec la FCC et le Congrès va devoir se poursuivre afin de garantir un Internet ouvert et libre à tous.

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