Facebook : c’est le patron qui se régale !

par Christophe Alix
publié le 22 novembre 2010 à 18h14
(mis à jour le 23 novembre 2010 à 13h46)

C'est une première en France : on peut se faire virer de son entreprise pour l'avoir dénigrée sur Facebook. Publiquement ou pas, c'est tout le problème. Voilà l'épineuse question qu'a tranchée vendredi le conseil des prud'hommes de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) en rendant une décision inédite. Qui exacerbe le débat du caractère privé ou non des réseaux sociaux. Assisté d'un magistrat professionnel appelé à départager les quatre juges prud'homaux (deux représentants des salariés, deux du patronat) dans cette délicate affaire, le conseil a jugé «fondé» le licenciement de deux salariés de la société d'ingénierie informatique Alten. Il leur était reproché d'avoir échangé des propos acerbes à l'égard de leur hiérarchie sur leur «mur» Facebook.

Les faits remontent à décembre 2008. S'estimant dénigré par sa direction, un salarié du service de recrutement d'Alten ironise alors sur sa page Facebook : il se revendique membre d'un «club des néfastes» . «Bienvenue au club» , lui répondent deux collègues sur sa page, citant sans la nommer la responsable de la DRH à qui les membres de ce club virtuel ont décidé de «rendre la vie impossible pendant plusieurs mois» . Des échanges accompagnés de smileys et d'onomatopées qui attestent, selon les intéressés, du caractère humoristique de leurs propos.

Un humour très peu goûté par la direction d'Alten. Avertie par un de ses salariés ( «choqué» , selon elle) qui avait eu accès à ces échanges comme «ami» du titulaire de la page, la société a licencié sur le champ les trois personnes pour faute grave. Le motif ? «Dénigrement de l'entreprise» et «incitation à la rébellion contre la hiérarchie» . Tout sauf une plaisanterie…

Dans son jugement, le conseil prud'homal dénie le caractère de correspondance privée aux échanges des salariés. Le simple fait d'avoir paramétré la page Facebook en question sur un mode «ouvert» - la rendant accessible aux amis d'amis, dont d'autres salariés d'Alten - signifie que ces échanges «dépassent la sphère privée» . «Les amis des amis sont innombrables sur Facebook , renchérit l'avocate d'Alten, Me Anne-Christine Barateig. La sphère privée y explose de manière exponentielle et devient donc publique. Il ne peut plus y avoir de violation du droit au respect de la vie privée, puisque ces échanges ne le sont pas.» CQFD. En outre, les juges ont estimé que la page Facebook du salarié pouvait être consultée par des personnes extérieures à l'entreprise. Et nuire à l'image de celle-ci.

Des arguments que réfute en bloc Me Grégory Saint-Michel, l'avocat de deux des salariés licenciés qui vont interjeter appel. «Sur la forme, [la décision] est d'abord très sévère, totalement disproportionnée , explique-t-il à Libération. Le nom de l'entreprise n'est jamais cité, ni celui de la responsable en question, il n'y a eu aucune insulte et les échanges en question ont été vite effacés du mur. C'est ça, l'incitation à la rébellion ?» Sur le fond, il considère que cette décision remet en cause des principes jusqu'alors intangibles, intrusion d'Internet dans le droit ou pas. «Comment soutenir que le respect de la vie privée n'a pas été violé alors que tout prouve qu'il s'agit d'une correspondance privée, écrite un samedi soir, en dehors du cadre du travail et sur du matériel privé. Le Facebook de ce garçon, 15 amis à l'époque des faits, ce n'est pas celui de Jean-Luc Delarue !»

Non, mais comme le dit un internaute sur un forum, «dans réseau social, le mot important, c'est social» . Selon l'avocate Christiane Féral-Schuhl, auteure du livre Cyberdroit : le droit à l'épreuve de l'Internet , «cette décision appelle à la vigilance les salariés qui ne savent pas maîtriser les paramètres de confidentialité de ces réseaux sociaux et ne savent pas qu'ils s'expriment publiquement» .

Paru dans Libération du 20/11/2010

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