Facebook : la fin de l'avis privé

par Camille Gévaudan
publié le 22 novembre 2012 à 14h59

C'est formidable, la démocratie ! Mais il y a juste un tout petit, minuscule problème avec ce type de régime : après avoir demandé au peuple son avis, il faut écouter sa réponse, et ensuite s'y conformer. Contraignant, n'est-ce pas ? C'est en tout cas ce que pense Facebook. Le réseau social a décidé, désormais, de ne plus tenir compte de l'opinion de ses utilisateurs avant de mettre en place des changements de politique.

Bien sûr, la nouvelle n'est pas annoncée aussi franchement dans le communiqué publié hier. L'information se comprend en lisant entre les lignes, parmi moult circonvolutions et tout en ayant l'air de faire passer le message inverse : «nous proposons des modifications de deux documents régissant notre site» , introduit Facebook, précisant qu'elles «permettent d'améliorer la manière dont nous gérons notre processus de gouvernance du site.» C'est vrai qu'il eût été gênant d'avouer tout de go : «elles permettent de restreindre la manière dont vous intervenez dans notre processus de gouvernance du site.»

Jusqu'à aujourd'hui, à chaque fois que Facebook souhait modifier ses conditions d'utilisation ou ses chartes relatives à la vie privée, il en publiait le détail sur son blog Site Governance et offrait 7 jours aux internautes pour faire part de leurs commentaires. Si 7000 membres du réseau se déclaraient en désaccord avec les changements proposés dans ce délai, Facebook s'engageait alors à soumettre les modifications à un vote, pour laisser le choix final aux internautes. Le concept est louable... sur le papier. Car en pratique, il était tout bonnement impossible de faire entendre sa voix : Facebook validait le vote uniquement si 30% des membres actifs avaient glissé l'enveloppe dans l'urne. Cela représente 300 millions de membres... Qui, d'une part, ne se soucient probablement pas des petites aventures de textes juridiques qu'ils n'ont jamais lu et ne veulent pas lire, et d'autre part, n'ont jamais entendu parler du vote en question puisque Facebook n'en fait aucune publicité. Bref : la possibilité d'un véto n'était pas à portée de main, mais elle existait.

Le collectif « Europe vs Facebook » en a d'ailleurs largement usé. Ce groupe d'étudiants autrichiens en droit s'est fait connaître en envoyant plusieurs dizaines de plaintes à la CNIL irlandaise, l'an dernier, après avoir découvert que Facebook ne respecte pas un certain nombre de points de la législation européenne en matière de vie privée. Les étudiants surveillent désormais de près le moindre battement de cil du réseau social, et ont appelé les internautes, à plusieurs reprises, à refuser des changements de politique via le système des 7000 commentaires (la dernière fois, c'était juste avant l'introduction de Facebook en bourse, au mois de mai ).

Hier, donc, rétropédalage intensif : Facebook explique avoir, au départ, «créé un système qui faisait primer la quantité des commentaires sur leur qualité. Afin de faire en sorte que nous continuions à recevoir un feedback pertinent de votre part, nous pensons qu'il serait préférable de supprimer le vote du processus.» La démocratie, c'était rigolo au début. Mais «nous sommes désormais une entreprise cotée en bourse qui doit rendre des comptes aux organismes de régulation du monde entier» , justifie le réseau social. Il promet toutefois de continuer à «étudier» (hum) et «tenir compte» (hum hum) «de vos commentaires» . Et -- c'est la seule bonne nouvelle de la journée -- annonce son intention de notifier désormais «l'ensemble des utilisateurs» à chaque changement de politique.

Cette décision est donc la dernière qui sera soumise au vote des internautes selon la procédure habituelle. Max Schrems et ses congénères de «Europe vs Facebook» ne compte pas laisser passer l'occasion de s'exprimer une dernière fois : ils appellent tous les internautes fatigués des méthodes de Facebook à commenter leur annonce par ces mots : «Je m'oppose aux changements et réclame un vote pour mettre en place les mesures détaillées sur www.our-policy.org

Sur le site en question, les étudiants listent leurs revendications : que les internautes ne soient pas inscrits par défaut au programme de reconnaissance faciale, que Facebook efface réellement des serveurs les données que l'on a «supprimées» de son profil, qu'il arrête de pister les utilisateurs et d'enregistrer leur historique de navigation en dehors de Facebook, etc... On peut toujours rêver.

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