Facebook mis à nu

par Marie Lechner
publié le 17 janvier 2011 à 12h37

Nu comme un ver, vous échouez sur Pluto, la ville aux mille délices, le Las Vegas du système solaire, régi par Elastic Versailles, une intelligence artificielle corrompue. Naked on Pluto est un jeu d'aventure textuel sur Facebook, intégrant les données personnelles du joueur et de ses «amis» comme éléments de cette fiction interactive palpitante.

Il suffit pour y participer de s'enregistrer avec son compte Facebook. Après s'être acheté une tenue décente (chapeau de cow-boy, scaphandre…) grâce aux jetons gagnés au casino, le joueur part explorer ce paradis de la consommation et du divertissement, flâner dans son palace, ses fontaines, se déhancher dans une boîte interlope, copiner avec le barman flagorneur, bavasser avec des robots insipides ou des personnages qui lui sembleront curieusement familiers, sans savoir s'il s'agit de programmes informatiques ou d'êtres humains. L'atmosphère du lieu, uniquement suggérée à l'aide de descriptions textuelles, participe de cette inquiétante étrangeté. Il lui faudra trouver une clé pour débloquer la porte des toilettes, usurper l'identité de l'un de ses amis Facebook en s'affublant d'une moustache, se perdre dans le dédale de centres commerciaux inhumains, au risque de se fourvoyer dans les recoins sombres et abandonnés de ce «meilleur des mondes» . Le joueur est seul, mais il peut inviter ses amis à le rejoindre pour faire certaines actions.

La combinaison d'éléments de fiction avec des données privées et la manipulation d'informations extirpées du compte Facebook rend le jeu à la fois immersif et très déstabilisant. Naked on Pluto scrute les limites et la nature des réseaux sociaux de l'intérieur, questionnant la manière dont ces interfaces façonnent nos relations, la marchandisation des liens amicaux, le ciblage publicitaire, et surtout les «quantités phénoménales d'informations» qu'on fournit à ces bases de données, se mettant littéralement à nu. «Ce fait est connu des utilisateurs de Facebook, mais nous avons constaté qu'il y avait une différence entre être au courant de cette situation et l'expérimenter en dehors des jardins clos de ces logiciels» , explique Aymeric Mansoux, créateur du jeu avec Dave Griffiths et Marloes de Valk. Les trois artistes souhaitent, avec cette métaphore ludique, confronter l'utilisateur au fonctionnement des réseaux sociaux, et au problème du partage des données, volontaire ou non. Un processus souvent opaque surtout depuis que Facebook a lancé la fonction «connect», qui permet de se loguer à des services tiers plus ou moins intrusifs avec son identité Facebook.

Naked on Pluto met un point d'honneur à expliquer en toute transparence comment les données du joueur sont utilisées. Le jeu, en open source, ne conserve aucune information dans ses serveurs, à l'exception de votre identifiant Facebook, et les données générées durant le jeu peuvent être effacées sur simple demande. Plutôt qu'un acte radical, tel le suicide virtuel prôné par les projets Seppuku ou Web 2.0 Suicide Machine, Naked on Pluto cherche à révéler les mécanismes de Facebook, en opérant depuis l'intérieur du système. Le jeu d'aventure textuel, forme littéraire désuète, se prête idéalement au sujet. Il était déjà utilisé, selon Aymeric Mansoux, «pour véhiculer diverses formes de satires contemporaines, tel Hampstead qui abordait les conditions économiques et sociales des banlieues londoniennes, ou Bureaucracy, qui transformait une mission pourtant simple en aventure kafkaïenne» .

Paru dans Libération du 14/01/2011

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