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Libération

Facebook : pédophilie, mensonge et presse anglaise

par Alexandre Hervaud
publié le 11 mars 2010 à 19h25
(mis à jour le 12 mars 2010 à 11h14)

A l'origine de toute l'affaire, un fait divers glauque : une jeune anglaise de 17 ans, Ashleigh Hall, a été tuée en octobre 2009. Elle avait rencontré son assassin via Facebook, l'homme s'était fait passer pour un adolescent. Retrouvé peu de temps après la découverte du corps, l'homme, par ailleurs récidiviste, a été arrêté. Sa condamnation à la prison à vie, la semaine dernière, a ravivé outre-Manche le débat délicat sur l'utilisation des réseaux sociaux par les adolescents. Facebook a été notamment mis en cause par l'organisme CEOP (Child Exploitation and Online Protection Centre) pour avoir ignoré leurs multiples recommandations quant à l'installation d'un «bouton» sur leurs pages permettant aux ados contactés par des internautes majeurs de prévenir immédiatement la police. L'utilisation de cet outil a été promu par diverses campagnes, comme cette vidéo mettant en scène une comédienne d'une série policière britannique ( The Bill , alias Brigade volante diffusée en France par NT1) :

Adopté par près de 5 millions d'adolescents au Royaume Uni, Facebook n'a pas mis en place ledit bouton, et le CEOP a renouvelé à cet égard des reproches cette semaine. «En 2009, 267 avertissements de tels faits sur Facebook nous ont été signalés. Cependant, 81% d'entre eux ont été faits par des internautes contraints de se rendre sur d'autres sites pour nous avertir, et c'est inacceptable» . Si de telles accusations en demi-teinte assez médiatisées ne sont pas pour plaire au réseau social créé par Mark Zuckerberg, elles restent toutefois inoffensives face à l'article publié mercredi par le Daily Mail . Intitulé initialement «Je me suis fait passer pour une jeune fille de 14 ans sur Facebook. Ce qui suit va vous révolter» , l'article se voit désormais privé du mot « Facebook » dans son titre. Sauf que l'adresse de la page web contient encore et toujours le nom du réseau social à l'heure actuelle.

DR

Ecrit par un certain Mark Williams-Thomas, ancien policier reconverti en criminologue, l'article est un peu la version écrite des inévitables reportages très à la mode chez les médias TV actuellement comme avec Le Sexe dans tous ses états et ses envolées pro-Loppsi sur TF1 et Envoyé spécial ou Complément d'Enquête et sa belle voix off sur France 2. En gros : un adulte (policier ou membre d'une association de défense de l'enfance, au choix) se fait passer pour une lolita sur un site de socialisation (chatroom, blog, social network, etc.) et attend gentiment que les Marc Dutroux 2.0. viennent l'aborder. Sauf que, et c'est un énorme « sauf », l'auteur de cet article caricatural et putassier n'a pas du tout utilisé Facebook pour son «expérience», mais «un autre site du même genre» . Sans le citer.

A lire son récit, les employés de Facebook avaient rapidement trouvé des incohérences (impossibilité pour un majeur d'entrer en contact avec un mineur par exemple...), comme le signale The Guardian . Autant dire que l'affirmation «j'ai été approché quelques minutes après la création de mon profil par des hommes entre 20 ans 40 ans» a fait bondir du côté de Facebook. Un rectificatif publié sur le site du Daily Mail (en bas de l'article ) et dans le journal papier précise désormais : «dans une version précédente de l'article, nous avons par erreur affirmé que le criminologue avait mené son expérience sur Facebook. Il a en réalité utilisé un réseau social différent, nous sommes heureux de rétablir la vérité» . Pas sûr que ce léger mea culpa suffise pour Facebook, qui envisagerait des suites judiciaires.

Des représentants du réseau social ont tenté, en vain, d'apporter des contradictions à l'article via les commentaires du site. Problème de modération, dixit le Daily Mail . Mais pour Facebook, le mal est fait, et une telle «publicité» pourrait bien nuire à son développement dans un pays où la concurrence est rude. Si Facebook dépasse le réseau Bebo en nombre total d'utilisateurs outre-Manche, Bebo restait encore il y a peu devant son rival en terme des membres jeunes. Et contrairement à Facebook, Bebo, qui appartient à AOL, s'est plié aux demandes du CEOP en installant le bouton d'alerte anti-pédophiles.

Etrangement, cette initiative de «bouton de signalement» n'a pas encore été discutée, à notre connaissance, par les instances concernées en France, pourtant «à la pointe» en matière de lutte contre la pédopornographie, principal cheval de Troie...pardon, de bataille des soutiens à la controversée Loppsi . Mais qui sait, l'idée pourrait vite se présenter à la faveur de cette polémique anglaise, et surtout, des couvertures médias post-Chatroulette qui détaillent en long et en large les menaces terribles planant sur nos chères têtes blondes. Pour preuve, la couverture du magazine hebdomadaire Valeurs Actuelles :

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