Fais dodo, t’auras du Lolo

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 7 février 2011 à 15h16

Juste avant, il y a eu une pub pour une convention obsèques. Et aussi une pour l'Or postal, ce gentil service qui permet de vendre en douce les dents en or de Mémé afin de payer sa maison de retraite. Alors, magnifié par un tel écrin, il est apparu, le nouveau joyau de France 3: Laurent Boyer. Depuis lundi, chaque jour entre 10 h 50 et 11 h 35 puis entre 13 heures et 13 h 45, s'articulant autour des JT régionaux et nationaux, il présente Midi en France , genre de caravane cathodique itinérante à base de chroniqueurs en forme de salmigondis de Télématin, 40° à l'ombre et Midi Première . Ne ricanez pas bêtement, c'est important. Car voilà le premier pas sur la grille de Rémy Pflimlin depuis qu'il est installé à la tête de France Télévisions. Il a dû lutter comme un beau diable pour arracher Laurent Boyer au patron de M 6 Nicolas de Tavernost (qui aurait déclaré : «Oh non, pas ça, ne m'enlevez pas Lolo, vous êtes vraiment trop cruel, oh non, oh non, bon d'accord.» ). Il a dû bousculer les conservatismes afin d'imposer le concept brûlot de Midi en France ainsi énoncé par Pierre Sled, conseiller des programmes de France 3 : «C'est une émission de culture populaire, destinée à valoriser les richesses des régions.» Il était encore un peu en deçà de la vérité.

Lundi, 10 h 51

«Fû-fû-fû-fû-fûûû.» L'air reproduit ici marque le grand retour du générique sifflé, dont le hit est et restera 30 millions d'amis . Quelques fû-fû plus loin, un visage enjoué apparaît à l'écran : «Vous ne rêvez pas , s'exclame-t-il, vous êtes bien sûr France 3.» Ah, Lolo Boyer, l'animateur sans émission de M 6 ! Là, tout au long de Midi en France , il donne l'heure, histoire de montrer qu'on est en direct. Mais alors tout le temps.

Lundi, 10 h 52

Déjà une minute, le temps passe vite quand on nous en met ainsi plein les mirettes. Jugez plutôt : Mulhouse. Oui mais Mulhouse avec une énorme bâche transparente devant le temple Saint-Etienne, bâche sous laquelle s'ébattent, assis autour d'une table en forme de slip de Robocop, Lolo et son troupeau de chroniqueurs. Bâche au travers de laquelle les gens font coucou, sans qu'on sache de quel côté se trouve le zoo. Sous sa bâche, éclairé comme au supermarché, ce qui nous permet de voir qu'il n'est plus blond Lolo, mais bien blanc, Boyer explique le concept, car il y en a un : «Vous verrez, c'est très ludique.» S'affichent de gros boutons multicolores. Un peu comme le téléphone à maousses touches de Mémé pensions-nous, mais il s'agit en fait d'une moderniste référence à l'iPad. Et sur chaque bouton se décline le sommaire afin de ne pas rater, à 11 h 19, la rubrique Animaux.

Lundi, 10 h 58

Il est question, dans la chronique Tourisme, de la ligne bleue des Vosges : «Quand le regard se perd au loin sur des échappées lointaines…» Tiens, on s'ennuie.

Lundi, 11 h 03

Bande de fayots en sauce ! Tandis qu'on se languissait un tantinet, ça nous a sauté à la figure : Mulhouse, les gars, Mulhouse, la ville qui vit naître Rémy Pflimlin, le patron de France Télévisions. Encore tout émus de la découverte de cet infamant conflit d'intérêt, on a failli rater «L'image du jour», ébouriffante passerelle jetée entre le jeune Web et la vieille télé par un certain Aurélien Pécot, ancien otage de Momorandini ! sur Direct 8. Oh, comme c'est cocasse le type tout nu qui se prend une vitre dans la tronche. Repassez-nous la vidéo, please .

Lundi, 11 h 27

Là, on va faire un pont musical avec images accélérées comme dans les comédies américaines : fû-fû la chronique où une blonde joue les idiotes dans une tente lapone, fû-fû l'historienne et le Klapperstein (cherchez sur Wikipédia, on est en accéléré), fû-fû la réapparition de Lulu (sans Charlie) qui n'est pas, contrairement aux cernes bistres qu'il affiche, en charge de goûter la beuh locale, fû-fû les macarons de Vincent Ferniot, fû-fû Evelyne Thom… STOP : Evelyne Thomas ? Evelyne Thomas ! Deux fois déjà que Boyer nous aguiche avec Evelyne, qui «va extrêmement nous surprendre dans sa chronique» .

Lundi, 13 h 25

Encore un pont en accéléré ? Non, c'est la deuxième partie de Midi en France qui, de fait, ne passe jamais à midi. Bon, on vous a quand même épargné la recette du bäckeoffe, la présentation d' «animaux autochtones» , dixit Lolo (des rennes) et le zapping de France Télévisions. Soit un glorieux ramassis d'images exclusivement tirées de la télé publique qui, entre une saillie de Patrick Sébastien sur sa bite et l'économiste Thomas Piketty qui se casse la margoulette chez Ruquier, en ressort grandie. Enfin, la voilà, Evelyne Thomas venue nous présenter, pile en face de Jean-Pierre Pernaut afin d'écraser ses plates-bandes, dans sa chronique «Au bout de mes rêves», ceux qu'elle appelle des «conquistadors» . Car «ils se sont battus contre l'incrédulité des proches, l'impuissance de l'administration, le refus des banques pour mener à bien un projet a priori impensable» . Là, nous avons un Denis qui a transformé un avion en hôtel. Bien.

Mardi, 10 h 50

Sitôt le générique, Lolo Boyer rappelle qu'on est toujours en direct de Mulhouse «où nous sommes jusqu'à vendredi» . Là, il a un petit tressautement nerveux de la paupière. Ça fait loin, vendredi. La semaine prochaine, ce sera Clermont-Ferrand. Et déjà, Midi en France s'est largement enfoncé dans les tréfonds de l'audimat : 291 000 téléspectateurs le matin, 583 000 l'après-midi. Alors Lolo en rajoute dans la jovialité. Sa recette ? Chambrer les chroniqueurs, faire des clins d'œil à la caméra. Et bien faire entrer dans la tête du maigre public le caractère exceptionnel du spectacle qui lui est offert. Les poules d'Alsace ? «Elles sont magnifiques.» Le langage des fleurs délivré par un chroniqueur à balai dans le fondement ? «C'est des précisions formidables.» Le musée de l'automobile ? «Absolument sublime. Absolument génial.» Formidable, sublime et génial, le budget de l'émission l'est aussi : 120 000 euros pièce chaque jour.

Paru dans Libération du 05/02/2011

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